La Chute : Du « Jeu » au Nous

La Chute (A.Camus) – ms Raymond Vinciguerra – Théâtre du Rempart– 17h10

Raymond Vinciguerra, metteur en scène, acteur, formateur, saltimbanque complet et polymorphe, présente cette année à Avignon une vision épurée de « La Chute » de Camus, d’après une adaptation de Catherine Camus et François Chaumette, un spectacle créé au théâtre du Gyptis. Il a confié à Philippe Séjourné la lourde tâche d’incarner Jean-Baptiste Clamence, homme disloqué, exutoire des tourments de Camus, et de nos propres méfaits.

Dans les moites et chauds tréfonds d’Amsterdam, Jean-Baptiste Clamence, jadis brillant avocat parisien, charmeur, croqueur de vie cynique, égocentrique absolu, homme comblé de lui-même et superficiel, nous conte sa propre déchéance morale, assumée de fait, sous la forme théâtrale du jugement. Un dégoût profond de son être mis en lumière, à l’apogée de sa gloire, avec le désespoir qu’il a ressenti à ne pouvoir réussir à sauver une jeune fille suicidaire sous un pont de Paris. Jean-Baptiste Clamence, homme auto-déchu, vient se confesser, se mettant à nu pour mieux se juger, nous juger, un réquisitoire mortifié et masochiste. Une tentative, vaine, de retrouver un peu de l’Homme qu’il n’a peut-être jamais été. Que nous ne sommes pas.

Raymond Vinciguerra en propose une mise-en-scène épurée, moderne, trempant l’âme de ce déchu, au sein des mots de Camus. Enivrante proposition qui ne laisse d’autre choix que plonger dans ce tourment, spectateurs passagers malgré-nous de cette inévitable dérive. Divagation d’un homme hanté par la présence spectrale de son démon… Et, peut-être, seulement lui-même ?
L’Amour égocentrique de Clamence pour les femmes, se vautrant dans leur chair, est intelligemment esquissé par le truchement de la vidéo, un « effeuillage » relevant quasiment du cabaret burlesque. Clamence, est dans son rôle de triste clown se déshabillant l’âme et le cœur, pour mieux nous renvoyer à nos propres bassesses et regrets, jusqu’au dépeçage impudique. Une utilisation d’ailleurs assez fine de la vidéo qui, sans trop en appuyer les tenants, confère une teinte et une atmosphère certaines. Procédé agrémenté d’une ambiance musicale idoine.

Philippe Séjourné est Clamence ! Accusateur, juge, victime, bourreau, Clamence est tout à la fois. Philippe Séjourné s’enivre, nous enivre de ses paroles, nous abreuve jusqu’au trop-plein d’émotions contradictoires. Sans jamais nous faire perdre le fil, sans que nous puissions un seul instant décrocher du texte de Camus. L’adresse publique, un peu marquée, nécessairement induite par la proximité d’avec les spectateurs, détourne quelque peu du recul indispensable à une écoute distanciée du propos, mais Philippe Séjourné sait prendre le spectateur par la main pour l’emmener avec lui vers les bas-fonds de l’âme, habités de fantômes. Tel un ogre sur la scène, il ouvre ses bras, impossible de lui échapper, ni d’échapper au texte de Camus, pas plus qu’à la vision de Raymond Vinciguerra, claire, sensible et intelligente.

Pierre Salles

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