« MARCHE SALOPE » : TROIS PAS EN AVANT, TROIS EN ARRIERE ET ENSUITE OÙ TU VEUX
lebruitduoff.com – 11 juillet 2023
AVIGNON OFF 23 : Marche salope – Céline Charriot – Théâtre des Doms à 18h.
Une femme entre, s’asseoit, nous regarde, traits détendus, on ne sait pas encore à quoi s’attendre, une voix off – ton neutre – commence à dire, articuler les mots, fait éclairer la salle, puis annonce qu’il s’agit d’un viol dont elle veut parler, et cela sans ouvrir une seule fois la bouche : tout se fera par les gestes, la musique et la voix off.
Despentes écrit que le viol est une « jouissance de l’annulation de l’autre » et en effet, durant de longues années, l’oubli seul a dicté sa loi dans la mémoire traumatisée de cette femme, annulée, absente à son propre passé. Sous la mine anodine d’une chanson reprise de Brigitte Fontaine, douceur jazzy dans les accords, on apprend qu’elle ne peut désormais plus poursuivre son violeur, et que « c’est normal ». La force du spectacle tient certainement à la distance – doucement metaphorisée – prise par les éléments scéniques face à l’horreur des faits : une chanson pour dire l’injustice, un cours de grammaire sur la masculination du mot aigle, un panneau blanc pour sous-titrer le cri qui se tait, des huîtres écrasées au marteau, comme autant d’éléments de preuve du jour où elles ont été dévorées vivantes. (Dans les huîtres, il n’y a pas de perles, c’est quoi ce mythe de la perle.) Mise en espace faite de jolies choses – pour reprendre un titre de Despentes – pas de côté, pas de danse, déplacement lent et subtil des objets pour dire l’indescriptible : reconquérir l’espace, rituel pour renouer avec un passé horrifique.
Que la scène traumatique, avec sa tâche de sang au milieu du lit, ait été reconstituée avec autant de précision m’a semblé un peu superflu ; j’aurais peut-être préféré voir encore creusées les images, étirée la métaphore culinaire ou l’investigation policière, mais la pièce reste très forte : par son thème, sa lenteur, sa précision, par le sérieux et la puissance du regard énigmatique de la performeuse. On lui répète, elle se répète « marche reste pas là reste en mouvement sinon tu vas crever allez marche » et parfois elle nous regarde, et s’arrête.
Célia Jaillet
LE BRUIT DU OFF 