« J’AVAIS MA PETITE ROBE A FLEURS », DU FEMINISME PRÊT-A-PORTER

lebruitduoff.com – 14 juillet 2023

AVIGNON OFF 2023. « J’avais ma petite robe à fleurs » – Texte : Valérie Lévy – mes Nadia Jandeau – – La Factory du 7 au 29 juillet à 12H15.

Marie Coquille-Chambel publie sur Instagram une vidéo de son visage roué de coups en sous-titrant : « montrer de nouveau mon visage tuméfié me coûte. Être obligée, tous les jours, de prouver que je suis une victime, me coûte. » En décidant de parler, elle devient la cible des forcenés du harcèlement : on l’accuse d’avoir profité de son viol pour accéder à une certaine notoriété, pourtant cette médiatisation lui « coûte », la fragilise. C’est le sujet du spectacle écrit par Valérie Lévy et mis en scène par Nadia Jandeau. Une société de production demande à Blanche Baillard de témoigner : elle a trois jours pour raconter, seule dans sa chambre, face caméra, en noir et blanc, le viol qu’elle a subi.

Ce viol, elle doit le vendre et cette idée m’a paru extrêmement intéressante : en effet, aujourd’hui, il faut parvenir à prouver à la face du monde que le consentement n’a pas été respecté. Or, si l’agression sexuelle s’est faite sans violence, si la victime était à moitié ivre ou endormie, qu’elle n’a pas su dire « non » très clairement, si le lendemain l’amnésie traumatique lui a fait tout oublier, il est difficile d’abolir toutes les incertitudes dans la tête des proches, des policiers ou des jurés. L’épouse violée par son mari, la pute agressée par son client (hors du contrat pré-établi entre les deux), ce sont encore et toujours des faits qui sont contestés, discutés : improbables. 80% des viols sont de cet ordre-là, mais le spectacle n’en parle pas : le viol de Blanche correspond au stéréotype parfait de l’agression sexuelle. Elle sort seule, la nuit, dans une petite robe à fleur légère. Sur le côté, deux hommes (des arabes – forcément), qui la suivent avant de l’entraîner dans un terrain vague où elle sera frappée et violée. Lorsqu’elle vomit, ils s’enfuient. Le soir, et durant les semaines qui suivront, elle prendra douches sur douches pour éradiquer la souillure attachée à son corps. Des années plus tard, l’angoisse n’a pas cessé de faire trembler chacun de ses gestes.

Je ne contesterai nullement l’horreur et l’inhumanité désolante de ce viol (de très nombreuses femmes subissent l’injustice de ces agressions d’une brutalité effroyable) seulement, il faut reconnaître son caractère spectaculaire : c’est un viol qui vend, qui met de la rage dans le ventre et à propos duquel tout le monde tombe d’accord. De plus, il se rapporte à un fantasme ancré dans nos inconscients depuis les 1001 nuances de Grey, celui de la jeune vierge impuissante perdue dans un paysage décharné, belle au bois dormant consacrée par la témérité d’un charmant. Il me semble que le spectacle gagne en pertinence et en profondeur lorsque Blanche s’adresse frontalement au public – et plus particulièrement aux femmes – en hurlant : « Oui, moi j’ai eu mon viol […] C’est beaucoup plus exaltant qu’un gosse à torcher, non ? » Imaginer qu’il puisse exister une jalousie féminine à propos du viol, cela dérange (mais n’oublions pas que si nous avons ces contradictions nouées au cerveau, c’est qu’elles ont été insidieusement installées par le patriarcat et ses mythes à deux sous).

Il est indéniable qu’aujourd’hui, les spectateur-ices exigent une spectacularisation des agressions, une esthétisation (sur le mode tragique) des viols et ne s’intéressent qu’à ce qui pue le sang, le sperme. En ce sens, il aurait peut-être été intéressant de mettre en scène une caméra douée de désirs et perversité, capable de pousser très loin l’obscénité en s’attardant sur les seins de la comédienne, sur son sexe, pour y chercher les stigmates de son annulation. Que le spectacle ne soit pas aussi convenu, aussi facile. J’aurais aimé voir autre chose qu’un miroir tourné sur nos curiosités : ça ne m’intéresse pas d’être la spectatrice avide de pathos et de sensationnel, de dolor et de furor, moi je me rends au théâtre pour être déplacée, dans un autre regard, dans une autre culotte, et sur cet aspect-là le spectacle s’est montré décevant. Difficile de faire aussi intelligent, imposant et effarant que Carolina Bianchi et son A Noiva e o Boa Noite Cinderela : là aussi c’est filmé, mais directement dans le vagin.

Célia Jaillet

Comments
One Response to “« J’AVAIS MA PETITE ROBE A FLEURS », DU FEMINISME PRÊT-A-PORTER”
  1. Gouiran dit :

    Quand même, le regard de l’actrice , cette beauté modeste du quotidien , en réel ou en vidéo , vous vrille le cerveau !

  • J’Y VAIS / JE FUIS

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