« MISANTHROPE 2.0 » : FOLLEMENT DRÔLE ET MODERNE

Lebruitduoff.com – 15 juillet 2023
AVIGNON OFF 2023. « Misanthrope 2.0 » – Thomas Le Douarec – Théâtre des Lucioles – du 7 au 29 juillet 2023, à 15h10 (durée 1h55), relâche les 12,19,26.
A quoi peut bien ressembler un « Misanthrope 2.0 » comme l’indique le flyer ? Pourquoi aller voir un Molière de plus dans un festival où les propositions ne manquent pas ? Le génie de la proposition de Thomas Le Douarec vient de l’utilisation judicieuse des réseaux sociaux, porteurs de cette réputation à laquelle les marquis et la cour tiennent tant. Les costumes sont mis au goût du jour, une guitare électrique donne le contrepoint, les fêtes ont lieu dans des boites de nuit. Que l’on se rassure, le texte est respecté, comme la sombre humeur d’Alceste. L’extravagance des personnages secondaires en revanche donne un relief inattendu à la pièce. Le résultat est un cocktail d’émotions immédiatement accessible à tous, une belle réussite !
Alceste ne supporte pas les compliments vides de sens et ne peut s’empêcher de dire ouvertement ses pensées, quitte à déplaire. Son amour pour Célimène, jeune veuve qui entretient moult prétendants et gens de cour, est fortement éprouvé.
Plateau quasi vide, hormis deux fauteuils en plastique, une table, et des contrepoints où s’entassent les bouteilles d’alcool. Un grand écran blanc occupe le fond de scène. La pièce démarre dans une boite de nuit, où des jeunes en tenue d’aujourd’hui se déchainent sur de la techno, tandis qu’Alceste et Philinte en costumes sobres s’entretiennent sérieusement dans une langue d’un autre temps. Le démarrage fait craindre le pire, quelle que soit la force du texte de Molière. C’est sans compter la scène suivante où Oronte – joué par Thomas Le Douarec himself – fait son entrée sur scène. Toute la force comique de Molière se déchaine, rien n’est trop extravagant. Téléphone autour du cou, Oronte n’hésitera pas à faire un selfie avec Alceste, immédiatement projeté à l’écran. Cet usage de la technologie au fil des scènes est toujours à propos, jamais abusif. Il transmet immédiatement l’idée de réputation et de son importance. Tous les personnages secondaires sont travaillés, des costumes au jeu, dans un registre comique souvent appuyé. Il faut voir la prude Arsinoé avec un collier en croix de Madonna, une petite veste Chanel et un bustier suggestif, la perruque bicolore du petit marquis, les vestes moulantes. Le rythme est tenu, aidé par la musique, et permet d’enchainer les extravagances.
Et l’histoire dans tout cela ? Loin de se perdre, elle s’enrichit. La douleur d’Alceste est bien visible et jamais tournée en ridicule. Célimène, prisonnière de ses contradictions, entretient l’ambiguïté, semble aimer Alceste tout autant que sa vie mondaine. Elle est particulièrement touchante dans la catastrophe du dénouement final, autant qu’elle est détestable dans ses commérages. Thomas Le Douarec entretient un équilibre parfait entre drame et comédie.
Le spectacle est bien rodé. Les acteurs jouent à l’unisson et se donnent sans compter avec une grande générosité. Ils campent des personnages hauts en couleur qui nous parlent, avec les mots de Molière certes, mais sur des thèmes tout aussi actuels aujourd’hui. Le désir de vérité absolue et intransigeante d’Alceste est tout aussi impossible dans un monde ultra connecté qu’à la cour du Roi soleil.
Emmanuelle Picard
































