« LA POESIE DE L’ECHEC », UNE REJOUISSANTE CATHARSIS FAMILIALE

lebruitduoff.com – 16 juillet 2023
La poésie de l’échec – Texte et mise en scène Marjolaine Minot et Günther Baldauf – Au 11 Avignon du 7 au 26 juilllet 2023 à 15h (durée 1h15), relâche les 13 et 20 juillet.
La proposition initiale annonce d’emblée le décalage : pièce pour trois acteurs et un beat boxeur (le beatbox est une technique de percussion vocale qui consiste à produire des sons de batterie, de basse et d’autres effets sonores en utilisant uniquement la bouche, les lèvres, la langue et la gorge). Le nom de la pièce sonne comme une promesse de résolution. La promesse est tenue : les trois membres de la famille dysfonctionnelle assise sur un canapé vont aller au bout de leurs contradictions. La pièce permet à chacun de sortir de soi avec des apartés tout aussi lunaires que salutaires. C’est drôle, triste et émouvant tout à la fois, une vraie réussite saluée par le public debout en fin de représentation.
Une mère est assise sur un canapé entre ses deux enfants, qui lui font la surprise de se réunir pour son anniversaire. Sous des dehors bien rangés, l’ambiance est lourde après le deuil du père…
Le beatboxeur arrive avec son micro, et ses bruitages donnent d’emblée le ton, le rythme, l’ambiance. Un bruit de ressort au moment de s’asseoir sur le canapé fait sourire, tout comme chacun des sons qui arrivent presque comme des bulles de bande dessinée. Sa boite à rythme bien posée sur la table côté cour, les acteurs s’installent sur ce canapé mobile, sous une grande lampe de salon. La situation semble assez banale, les sous-textes sont beaucoup plus chargés. Alice, la mère, est assez rigide, Antoine, le fils, préoccupé par un courrier qui vient d’arriver, et Juliette, la fille, a du mal à en placer une. Comment ne pas être ému par Juliette, à qui sa mère coupe sans cesse la parole et qui l’ignore au point de ne pas ouvrir le cadeau que sa fille vient de lui offrir ?
La pièce offre à chaque protagoniste la possibilité d’arrêter l’image et d’exprimer ce qu’il ressent, vit ou pense avec une expression très physique, parfois proche du mime et de l’acrobatie. Les sons du beatbox ouvrent un autre espace-temps, autorisent et soutiennent le décalage. Qui n’a pas rêvé d’appuyer sur le bouton pause de la télécommande, et d’exprimer vraiment ce qu’il ressent ? Le public découvre ainsi la face cachée de chacun, les histoires de familles qui tuent qui rongent le quotidien à force d’être passées sous silence. Les flash-backs soutenus par des accessoires rouges viennent combler les trous de l’histoire. Si le thème est lourd, l’humour est toujours présent. L’exagération fait sourire, même dans la séquence « questions pour un raté », tout comme les accents suisses allemands, les acrobaties variées, les mimiques de chacun. Il faut voir Alice « bugger » devant une contrariété, son œil droit se fermant exagérément.
A la fin de l’histoire, le canapé est bien moins carré, beaucoup plus harmonieux pourtant. La poésie de l’échec est devenue une évidence. La pièce touche chacun, en tant que parent ou enfant ou les deux à la fois, une petite merveille originale et inclassable.
Emmanuelle Picard
Photo Ariane Catton
































