« MORT LE SOLEIL » : UNE JOGGUEUSE A TERRE, UN INCEL EN PRISON

lebruitduoff.com – 16 juillet 2020
AVIGNON OFF 2023. Mort le soleil – Une pièce de Gwendoline Soublin – au Transversal à 18H50.
A la carabine de Pauline Peyrade traite du chemin de pensée qui conduit une jeune fille violée à la vendetta : tirer sur son agresseur, sans trembler, fusil à l’épaule, sur un sexe trop souvent dressé. Dans Mort le soleil, le schéma est radicalement inversé : c’est un jeune homme qui prendra les armes pour se venger de l’indifférence des femmes à son égard. Vierge, sexe mou au fusil, tremblotant, il en vient à tirer sur ses camarades « femelles » à cause desquelles il croit vivre le pire. La pièce correspond au roman que cet homme écrit pendant ses années en prison : en un monologue sec et tenu, il y évoque son enfance, ses rencontres en expliquant les raisons qui ont pu le conduire à l’extrémité du massacre.
« La seule faiblesse de l’homme c’est la femme » scande le comédien, adoptant la voix et l’allure de Bertrand, sorte de gourou auquel le personnage principal s’est accroché dans son adolescence. « Je faisais tout pour qu’elles m’aiment / je tenais les portes au lycée […] mais elles préfèrent que leurs ovaires pourrissent » comprend le jeune homme, en train de virer « célibataire involontaire », renommant toutes les femmes en « femelles », jusqu’à sa propre mère. Toutes les figures qui gravitent autour de ce garçon sont incarnées avec force et précision, dans une mise en scène sobre et épileptique, et dont la réunion sur le plateau permet de mieux comprendre la chute, comme s’ils passaient régulièrement à travers le jeune homme, s’exprimant par sa bouche. Seul le gourou, dont on entend régulièrement la voix, a une réelle influence.
La destinée qui nous est racontée est singulière et reflète assez peu ce qui constitue la réalité des incels : très peu passent véritablement à l’acte, la plupart optent pour le suicide, rejetés de tout côtés et incapables de percevoir la multiplicité des causes de leur esseulement. Si les incels développent en majorité des théories sexistes, ils ne soutiennent pas tous le féminicide : les extrémistes appartiennent à une catégorie bien à eux. N’aurait-il pas été plus intéressant de présenter une existence plus réaliste, simplement en proie à son propre échec, qui se laisserait aspirer par la haine sans jamais la mettre en application ? De plus, le gourou, incarné par un Bertrand pathétique mais à la rhétorique bien trempée, est dans la réalité plutôt un rôle tenu par les réseaux sociaux (et notamment par le forum 18-25). C’est par le prisme d’une communauté d’esprits aux membres relativement similaires, en bataille contre les mêmes torpeurs, que les incels se forment.
Ce choix de la démesure sert néanmoins très bien la dramaturgie et la mise en scène de la pièce : au fil des monologues, hachés, coupés, scandés, démoniaques, la violence fait de l’escalade, et si ce garçon n’est qu’un maigre poil violemment dressé dans un océan d’imberbes, la tuerie d’Isla Vista n’est pas loin si bien qu’on est en raison de croire que les célibataires impuissants, les « damnés » de l’attraction, n’auront pas bientôt fini de se moucher dans nos baskets.
Célia Jaillet
































