« DÉJÀ » : D’UN T.REX AU DÉLUGE…

lebruitduoff.com – 17 juillet 2023
AVIGNON OFF 2023. « Déjà » – Collectif Krumple – La Manufacture, à 12H.
D’un T-rex au déluge, un vieil homme perd la mémoire
Tout part d’un salon, d’une chambre à soi, à moi, à toi, qui appartient à toutes les silhouettes qui l’habitent ou la traversent, au fil des époques et des saisons : un vieillard sénile, une jeune mère et son mari pressé, un cambrioleur qui cambriole on ne sait qui, une fête au 19ème, un hippie qui invite avec ses amis… Librement inspiré du roman graphique de McGuire Ici, on retrouve effectivement dans ce spectacle un certain entremêlement des temporalités ainsi qu’une superposition des espaces. Si dans la bande-dessinée, les cadres facilitent l’insertion d’une pluralité de mondes en un seul, le théâtre doit quant à lui inventer ses propres subterfuges : les comédien-nes-danseureur-euses déplacent les décors, bougent les mondes, miniaturisés ou non et on retrouve fréquemment la cheminée, la fenêtre, le canapé… Les lieux sont investis par des personnages hauts en couleurs, aux pantomimes variées : au plateau ils ne sont que cinq mais ils semblent être une armée. Si l’espace ne change pas, le temps en fluctuation permanente est figuré par le truchement de petites horloges numériques, lumineuses et intemporelles. Par un ensemble complexe de procédés scéniques, la dramaturgie du spectacle se déploie naturellement, sans trop de mots, pour creuser le temps et ouvrir le monde.
Des bribes d’instants, riches de portée esthétique, nous sont montrés : un mouchoir plein de larmes pressé dans un verre d’eau, une mariée qui passe du rire aux larmes, un arbre libre, un salon miniature transformé en aquarium pour 2327, un homme qui confond cigarette et stylo jusqu’à constater dans son trouble la disparition de sa cravate… De nombreuses fulgurances tapissent les tableaux, les images s’impriment en positif dans nos rétines, on s’émerveille, on s’interroge, et si la causalité est sans cesse éclatée, dispersée, on finit par comprendre pourquoi ce vieil aux cheveux gris tousse et tombe au sol, tout en continuant de se demander ce que devient ce couple aux gestes mécaniques, ultra- sonorisés ou si c’est Gengis Kahn qui le premier a bâti la maison dont on suit les fondements.
Un spectacle en somme visuellement très fort, chorégraphié au millimètre près, où les existences terrestres, humaines et animales s’entremêlent, se superposent avec fluidité et subtilité, comme les carrés de Mondrian, rouges, bleus, blancs, jaunes, et au cours duquel on prend conscience, d’après la formule de Lavoisier, que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».
Célia Jaillet
































