LE BRUIT DU OFF

lebruitduoff.com – 19 juillet 2023

Avignon Off 2023. La Tempête – Le Kronope – mise en scène Guy Simon – à la Fabrik théâtre, 17h45 , 1h40 relâche les mercredi.

 Pourquoi et comment,  monter « un » Shakespeare? N’a t-on pas tout vu, tout tenté, tout exploré, dans l’oeuvre du dramaturge élisabéthain? Ses oeuvres ne sont elles pas devenues, au fil des siècles, la base d’une bonne éducation littéraire, que l’on lit parce qu’il faut bien lire Shakespeare?

 Et bien non! Et la troupe du Kronope et sa galerie de masques, nous donnent une preuve, s’il en fallait, que Shakespeare est bien vivant, et que ses oeuvres, toujours pleines de  sève et de la magie des êtres surnaturels qui la peuplent, nous font encore vibrer, rire, pleurer.

 De La Tempête on connaît la trame, dont le magicien exilé Prospero, aidé de Ariel, espiègle esprit de l’air et de Caliban monstre terrien et furieux, tisse les fils où, comme dans la toile d’une araignée, les personnages se voient pris au piège. Trois fils narratifs qui s’entremêlent, se croisent, s’éloignent, au bon vouloir de Prospero, vieillard à la fois inquiétant et paternel, véritable démiurge sur cette île étrange. Il y a là de l’amour naissant, de la traitrise, du désespoir, du pardon, aussi, tragi comédie de la vie.

 Dans une scénographie époustouflante et magnifique, le Kronope nous offre une mise en scène à la fois énergique, légère comme Ariel, l’esprit de l’air, mais aussi ancrée à la terre comme Caliban qui semble un Golem fait de glaise, ou brûlante comme sa haine de Prospero, changeante comme la mer, tantôt furieuse, tantôt apaisée. La musique, originale est un élèment fondamental de la mise en scène, presque un personnage à part entière. Les comédiens nous offrent une performance à la fois physique et théatrale, jouant plusieurs personnages, grâce aux masques de la commedia dell’ arte et aux costumes qui, par la magie du théâtre, deviennent eux aussi, éléments de décors. La troupe, par son talent et son inventivité, réussit, tout en restant très fidèle à la pièce, à en rendre la fraicheur du conte, l’intemporalité, tant l’histoire racontée semble vivre dans un moment à la fois long, et figé par la magie,  temps suspendu signifié par le seul élèment solide et inamovible du décors, une structure qui prend la forme du signe mathématique de l’infini.

 Le Kronope nous embarque dans cette tempête et dans cette île aux illusions, comme on embarque un enfant dans une histoire mille fois lue, et pourtant toujours aussi neuve. Et, lors du dernier monologue de Prospero, qui renonce à la magie, à ses grimoires et à son pouvoir de démiurge, notre gorge se serre en songeant que La Tempête fut le dernier écrit complet de Shakespeare, et que cet adieu de Prospero à la magie fut, peut être, l’adieu de Shakespeare lui même au théâtre. 

Isabelle Salles