LE BRUIT DU OFF

Lebruitduoff.com – 19 juillet 2023

AVIGNON OFF 2023. Cécile – Sélection suisse en Avignon – La Chartreuse, Villeneuve – du 11 au 18 juillet à 15h – Mise en scène : Marion Duval.

« C’est vexant ce qui m’arrive. Mes personnages commencent à exister avant que je ne leur ai fendu l’œil » (Le soulier de satin) A Marion Duval, il arrive sensiblement la même chose qu’à Claudel : Cécile existe indépendamment de son regard et ainsi qu’elle nous l’explique juste avant la pièce, dès leur première rencontre elle a eu envie de lui donner l’occasion d’exprimer son existence, dans toute sa folie, sur scène. En bégayant un peu, entre deux rires, humble et simple, à quatre pattes pour faire des bisous aux pieds de sa copine, Marion explique : « Voilà moi j’ai fait les projections pour séparer les différents chapitres […] Cécile elle a creusé des choses que moi j’ai pas pu creuser parce que je cherchais trop à devenir quelqu’un. » Le ton est donné : le spectacle avancera à tâtons, en s’improvisant, et Cécile en sera la star.

Elle a tout fait ou presque : animatrice de colonies pour personnes en situation de handicap, clown dans les hôpitaux ou en Mongolie, Bob Marley, actrice porno pour Fuck for forrest, zadiste à NDDL, chamane pour le buisness… Chacune de ses expéditions est riche d’anecdotes, qu’elle nous partage sans économie, avec un humour et une simplicité décapante. La pièce flirte parfois avec une obscénité qui ne peut que nous fasciner : on accepte la représentation caricaturée d’un enfant malade parce qu’elle nous lance « c’est de très mauvais goût einh » et qu’elle tape gratuitement un médecin ou encore l’orgie de corps beiges et mous, comportant des moments de masturbation, parce que c’est vraiment radical et osé. Le spectacle se meut sur un fil, entre le sérieux et le dérisoire, moments de suspension où le bégaiement s’assoit et guilis dans le ventre, et si parfois on sent que les blagues ne jaillissent pas de nulle part, qu’elles ont été répétées, remâchées – et Cécile le reconnaît souvent « ça je l’ai déjà dit mais je le redis parce que ça marche » – au final, même si la pièce a deux années à son actif, le moment qui se joue entre elle et nous est proprement théâtral, tant il nous donne le sentiment d’une « première fois », hapax singulier et constamment réinventé.  Un bruit sourd se fait entendre dans le public, accidentel, et voilà que Cécile attrape une bouteille d’eau, sourit, déclare « ce n’est pas un problème » et laisse tomber l’objet par terre. A plusieurs reprises, elle s’est montrée experte en l’art d’improviser à partir des remarques du public. Les murmures, les postures, les lunettes, tout est prétexte à rebondir.

C’est la première fois qu’un spectacle m’a donné l’impression réelle et incarnée du possible. Tout peut arriver : un grand strip tease, une fête au plateau, un entremêlement de corps, des chants dans une église, l’investiture d’un rond-point : pas de plan de route dans le viseur mais des bifurcations possibles à tous les coins de mots et le bouchon est poussé si loin que le champagne se boit et que les autoroutes s’enflamment (et moi aussi comme vous voyez). Chapeau les artistes, car désormais il est certain que pour moi il y a un avant et un après Cécile.

Célia Jaillet

Photo Mathilda Olmi