LE BRUIT DU OFF

Lebruitduoff.com – 25 juillet 2023

AVIGNON OFF 2023. Britannicus – Tragic Circus – Texte et mise scène de Pierre Lericq – Théâtre du Balcon du 7 au 26 juillet à 19h55.

Nous sommes au cirque ! Chapiteau, trapèze, tabourets de spectacle…  Apparait en « Monsieur Loyal » le directeur de la troupe qui s’adresse au public – le Peuple de Rome – sur un ton péremptoire. Nous allons assister à une tragédie, à la naissance d’un monstre qui est aussi monstrueux que nous, le public. Une monstruosité latente « que nous enfermons dans notre cage thoracique et notre for intérieur à coup d’éducation et de culture ».

Cette troupe de cirque nous présente alors cette tragédie dans une mise en abyme : la montée en puissance de la monstruosité de Néron sous l’emprise de son goût du pouvoir, de sa libido et… de sa mère Agrippine. Ainsi après l’assassinat de l’empereur Claude par sa femme Agrippine  pour porter au pouvoir son propre fils Néron, celui-ci enlève Junie, promise à son frère Britannicus. Tous les ingrédients de la tragédie sont là et, sur le fond, Pierre Lericq nous livre une tragédie au-delà de ce que Racine ou les historiens les plus affûtés de l’histoire romaine auraient pu imaginer.

Sur la forme le résultat est étonnant. Au travers d’un spectacle délirant, totalement déjanté et émaillé de séquences musicales rock et de chansons endiablées, nous découvrons des personnages improbables, hauts en couleur, grimés en clowns aux étranges costumes chamarrés.

Notre « Monsieur Loyal » est un directeur tyrannique qui dresse ses comédiens à la cravache « Admirez le dressage ! » dit-il fièrement au public. Public qui se fait rappeler à l’ordre quand il rit en se faisant fusiller du regard : « Taisez-vous ! ». Un directeur redoutable qui nous attendrit presque quand il évoque avec désespoir les difficultés de sa troupe en interrompant le déroulement de la « tragédie ».

Nous découvrons ensuite la tendre et frêle Junie, objet bien innocent de la rivalité entre les deux frères, puis Britannicus, amoureux transi et naïf, et Néron, avide de pouvoir et de la jeune Junie mais plus fragile qu’on ne croit, mené par le bout du nez par sa mère. Le clou du spectacle est peut-être cette mère, Agrippine, dominatrice, manipulatrice, incestueuse, qui paraît cumuler tous les vices de la terre.

Le spectacle se déroule à bride abattue dans une succession de dialogues épiques et de chansons rock chantées et dansées en chœur. Le texte et les chansons de Pierre Lericq s’enrichissent d’alexandrins improbables et de jeux de mots qui ne retombent jamais à plat. L’imagination est débordante et la surprise est au coin de chaque phrase. La mise en scène est millimétrée et tout s’enchaîne naturellement, sans temps morts.

Cette « tragédie » burlesque, incisive et colorée est portée par une troupe d’excellents comédiens survoltés, déterminés et expressifs tour à tour clowns, musiciens, danseurs, chanteurs. Un spectacle jubilatoire et subversif qui n’hésite pas à poser la question de la monstruosité chez l’homme. Quand et pourquoi devient-on un monstre ? Y a-t-il une monstruosité potentielle chez tout un chacun ? Un sujet traité au travers de cette pièce de théâtre musical jubilatoire que le public quitte à regret avec un petit sourire complice qui ne nous quitte pas du début à la fin.

Jean-Louis Blanc