LE BRUIT DU OFF

Lebruitduoff.com – 17 juillet 2024

AVIGNON OFF 24. « Les guêpes de l’été nous piquent encore en novembre » – Mise en scène : Yordan Goldwaser – héâtre du train bleu – 13H45 – du 2 au 21 juillet.

Cette pièce de Viripaiev, comme bon nombre d’autres, vient mettre le doigt dans la prise – et sur la crise – de personnages arrachés pour quelques heures à la banalité de leurs existences. Robert, marié à Sarah s’evertue tant bien que mal à comprendre avec qui son frère Markus se trouvait lundi après-midi : avec son ami Samuel ou bien avec sa femme Sarah. Samuel comme Sarah affirment avoir été en sa compagnie. Alors il argumentent, se contredisent l’un l’autre, passent appels téléphoniques sur appels téléphoniques pour faire confirmer leurs déclarations par différents témoins. 

Ce qui pourrait s’apparenter au premier abord à un drame petit-bourgeois où le mari trompé se trouverait affreusement déchiré entre deux promesses de proches se mue peu à peu en véritable tragédie métaphysique. En effet, il ne s’agit plus du tout de savoir qui souffle le froid ou le chaud. Pourtant, le public avait été judicieusement placé en ce sens-là, dans un dispositif tri-frontal rappelant sans conteste la forme d’un tribunal. La lumière reste allumée tout du long, nous aurions pu être disposé-es ainsi pour trancher. Mais ce n’est plus vaudeville, c’est physique métaphysique : Markus s’avère plutôt être de la même famille que le chat de schrodinger, il était à la fois chez Sarah et chez Markus. Le public mesure une chose : la vérité n’existe pas. Mais surtout pour le public : ça n’a plus d’importance. Il y a bien plus important. 

En effet, les conversations prennent des atours mystiques et religieux, on questionne le sens de Dieu et du monde et si les personnages demeurent rationnels de bout en bout c’est cela même qui les conduit à la folie. Les comédien-nes au plateau font preuve d’un engagement physique impressionnant et d’une très grande justesse dans l’interprétation, ce qui sert au mieux la déliquescence folle auxquels ils sont confrontés. Les murs tombent et le dispositif en tri-frontal prend un tout autre sens : il devient le lieu de la diffraction de la vérité, de la pluralisation des points de vue, de l’éclatement du monde. L’absence de Dieu a jeté les hommes dans un relativisme si profond qu’ils n’ont jamais trouvé le fond. Que ce soit un choix ou non – puisque la pièce se jouait dans une pièce de la MAIF d’Avignon – la couleur immaculée des murs – jusqu’au plafond -métamorphose l’endroit en une sorte de purgatoire où les choses n’ont pas de bout, les guêpes piquent encore en novembre, les guêpes sont plus que des guêpes, les piqûres plus que des piqûres et Markus est éternellement emprisonné dans un lundi après-midi chez Sarah en même temps que chez Samuel – prénoms par ailleurs très présents dans l’Evangile. Ce purgatoire ne donne pas la direction du vide. 

Reste le comique. Sur scène, trois ballons accrochés au piano – qui accompagne de sa mélodie grave la fin sans véritable fin de la pièce – évoquent l’enfance comme lieu de l’acceptation du monde, du rire qui ne se soucie plus du sens. Dans la pièce de Viripaiev, les personnages sont adultes. C’est pour ça qu’il ne peuvent pas accepter l’irrationnel. Baudelaire le disait avec style : “les vrais paradis sont ceux qu’ont a perdu.” Mais ce ne sont là que de pauvres hypothèses dramaturgiques, que le texte, autant que la mise en scène, participent à brouiller. Une bien belle partition en somme, enchâssée dans un bien bel orchestre, à trois cordes, aux voix claires, tenues, épurées, comme une piqûre de guêpe dans un mollet de pape l’été.

Célia Jaillet

Photo Lucie Gautrain