AVANT-PREMIERE OFF 25 : « LA SOEUR DE JESUS-CHRIST » AUX DOMS

AVANT PREMIERE OFF 2025 : « La sœur de Jésus-Christ » – de Oscar de Summa, traduction Federica Martucci – mise en scène Georges Lini – avec le comédien Félix Vannoorenberghe et la musicienne-compositrice, Florence Sauveur – au Théâtre des Doms Avignon, du 5 au 26 juillet 2025.
Un western contemporain, situé dans les années 80
C’est la surprise à la Villa des Chrysanthèmes, située dans la rase campagne des Pouilles. Elle, c’est Maria. Maria que l’on surnomme la sœur de Jésus-Christ parce que son frère, Simeone, le plus beau du village, ressemble au Messie. La ressemblance est telle que, lors de la passion du Vendredi Saint, chaque année, il endosse le rôle de Jésus-Christ. Inutile de préciser que ce jour-là, la fréquentation de l’église du village atteint son pic le plus absolu. Comme dans tous les villages du Sud de l’Italie, tout le monde est affublé d’un surnom. Et Maria, ne fait pas exception. Mais là, elle n’en a que faire, Maria est déterminée : « elle a les yeux limpides de ceux dont l’intention cristalline vise un but précis ». Elle s’empare du cadeau de l’oncle d’Amérique à la famille Calandra, un Smith & Wesson 9 mm, qui, jamais utilisé, dormait depuis des décennies dans le buffet de la cuisine. Elle « bascule le barillet chromé de l’arme et vérifie qu’à l’intérieur s’y trouvent bien les huit projectiles argentés » et, sans un regard en arrière, d’un pas décidé, elle quitte la maison familiale, foulant de ses longues et belles jambes, la route en direction du village. Parce que oui, elle est belle Maria. Tellement belle qu’elle attise les jalousies, les désirs, les convoitises, les médisances, l’amour et la haine des villageois, tout à la fois. Pas facile d’être dans la peau de Maria, dans un monde qui tourne autour du patriarcat, du machisme, du sexisme, où les luttes pour l’émancipation pointaient déjà le bout du nez.
« (…) L’invincibilité se trouve dans la défense, la possibilité de victoire dans l’attaque » (L’art de la guerre, de Sun Tzu ») (*)
On a beau lui crier de rebrousser chemin, de lui demander ce qu’elle compte faire de cette arme à la main, mais Maria ne répond pas, ne se retourne pas. Elle continue à marcher en silence, les yeux rivés vers le but qu’elle s’est assigné, celui de faire face à une violence subie la veille. Le village prend sa suite, un cortège se forme, sans savoir où va la belle, jusqu’à ce que tout finisse par se préciser. C’est alors que les langues se délient, tantôt en sa faveur, tantôt contre elle, l’encourageant parfois à poursuivre ou à essayer de la dissuader. Chacun et chacune y va de son anecdote, vraie ou fausse, mais personne ne peut l’arrêter. Ni les villageois, ni les gendarmes, ni la famille, personne. « En défendant son corps, pour le « reprendre », Maria est obligée de le rendre public, de le donner littéralement à la foule et à ses délires, obligeant tous ceux qui la rencontrent à prendre position (…) » (De Summa).
« (…) La fragilité, la faiblesse, placées au bon endroit, sont puissance. » (L’art de la guerre, de Sun Tzu ») (*)
Que vise Maria ? Chez qui se rend-elle ? Quelle sera l’issue de cette histoire ? Et de se poser les questions, tel l’auteur : peut-on choisir la violence pour « réparer » la violence ? Quelles sont, sinon, les alternatives ? Peut-on remettre les choses à leur place ?
Prix Maeterlinck 2023 de la meilleure scénographie (Thibaut de Coster et Charly Kleinermann), la pièce La Sœur de Jésus-Christ (nommé meilleur spectacle) est un genre de western contemporain, mis en scène par Georges Lini qui, une nouvelle fois, épate par son talent à saisir l’essentiel d’une histoire, percutant directement le cœur et l’esprit des spectateurs, bouleversant. Le metteur en scène, toujours à la recherche de la beauté dans les textes, arrive, il faut le dire, très souvent à les mettre en valeur. Le conteur endosse plusieurs personnages sur scène de manière assez surprenante, grâce à une scénographie absolument bluffante. Un succès déjà rencontré lors de sa création en 2023 au Poche et on ne s’en lasse pas. Comme souvent avec Lini, un casting de choix, puisque pour cette performance il choisit Félix Vannoorenberghe, exceptionnel, nommé dans la catégorie du meilleur interprète. Largement mérité ! Il partage la scène avec Florence Sauveur, multiinstrumentiste et compositrice formidable. Ensemble ils créent une harmonie sur scène, la musique et le texte ne font qu’un, suscitant une formidable atmosphère où le public, captivé, ose à peine respirer. Complicité évidente avec un plus : l’art de conter l’histoire, telle une fable.
L’auteur Oscar de Summa : De nombreux prix à son actif, acteur, metteur en scène, écrivain, l’italien Oscar de Summa complète sa trilogie de la province avec « La sœur de Jésus-Christ » (I « Diario di provincia » et II « Stasera sono in vena »). Pour l’auteur : « Il y a certainement une première phase dans la création théâtrale qui concerne les côtés obscurs de chacun. Peut-être que ce qui fascine, au début, c’est le sentiment de complexité, la découverte de parties cachées et inexploitées de soi-même. Pour mille raisons : le milieu familial, les expériences, la culture de référence. On éprouve alors immédiatement un sentiment de liberté important qui nous révèle la complexité du masque, la nécessité d’assumer un rôle dans différentes situations. Peut-être semble-t-il que notre nature est composée de plusieurs natures (…). Mais le voyage ne s’arrête pas, il ne s’arrête pas avec cette première découverte : c’est une sorte de spirale qui, à différents moments de la vie, révèle des choses différentes et nous fait ressentir différemment ».
Autrement dit, Oscar de Summa est à la recherche de la vérité. Pour ce troisième volet de la trilogie, bien qu’il l’espérait et cherchait, même, à rejoindre l’Europe, l’artiste italien ne s’attendait pas à un tel succès. C’est sa rencontre avec la traductrice Federica Martucci, qui va tout faire basculer vers un succès au-delà des frontières de l’Italie, notamment vers la France et la Belgique. Pour son grand bonheur, l’histoire devient… universelle !
A voir en juillet au Off d’Avignon, au Théâtre des Doms.
Julia Garlito Y Romo
(*) Épigraphes que l’on retrouve dans le roman « La sœur de Jésus-Christ » de Oscar De Summa.
































