FESTIVAL D’AVIGNON 2025 : 42 SPECTACLES POUR DIRE LE MONDE

FESTIVAL D’AVIGNON 2025 – Du 5 au 26 juillet 2025.
Tiago Rodrigues a déroulé le 2 avril dernier ce que sera la programmation de cette 79e édition, placée sous l’intitulé « Ensemble ». Au-delà des bonnes intentions et du positionnement idéologique de cette édition, qui se veut un signal positif envoyé face au désordre du monde et aux chamboulements politiques, géostratégiques et économiques que celui-ci subit depuis ce début d’année 2025, on pourra s’interroger néanmoins sur certains parti-pris pour le moins surprenants de ce programme, par ailleurs riche de promesses et d’ouverture sur d’autres cultures.
Mais au fond, cette édition 2025 recourt à pas mal de « valeurs sûres » qui ont construit depuis longtemps la réputation du meilleur festival de spectacle vivant au monde. Ainsi des Milo Rau, Ostermeier, Marthaler, Gwenaël Morin, ou encore de Anne Teresa de Keersmaeker ou de Marlène Monteiro Freitas qui tous cette année encore seront mis à l’honneur. Des artistes qui ont fait les beaux jours du Festival, et que nous apprécierons bien sûr d’accueillir une nouvelle fois, même si nous aurions sans doute espéré plus d’audace, d’expérimentation et de nouvelles figures internationales…
Une bonne nouvelle, cependant, en préambule : La langue mise en lumière cette année est l’Arabe, après l’Anglais puis l’Espagnol des deux précédentes éditions. Une fenêtre ouverte sur une grande culture qui nous a façonnés, nous Européens, n’en déplaise à la mouvance réactionnaire -pour ne pas dire plus- qui sévit librement sur nos ondes et chez tous nos politiques. Bienvenue à l’Arabe donc, à la richesse de cette civilisation qui depuis le IXe siècle a irrigué la culture européenne en nous amenant les textes traduits des philosophes grecs, les sciences et la médecine, les architectures des bâtisseurs arabes, la poésie et la littérature arabes, la musique arabo-andalouse sans laquelle le Flamenco n’existerait pas… Du coup, nous ne serons pas surpris du nombre de créateurs du moyen-orient et du Maghreb invités par cette 79e édition, un tiers environ des 42 spectacles proposés ont racine dans ce terreau fertile.
Soulignons également que l’artiste « complice » de cette année est la grande chorégraphe Marlène Monteiro Freitas, qui succède donc à Boris Charmatz l’an passé. Gageons que celle-ci aura su susciter des compagnonnages féconds, dans une programmation d’ailleurs qui fait la part belle à la Danse, avec beaucoup de créateurs invités. Marlène Monteiro Freitas elle-même proposera sa pièce « NOT », inspirée des « Mille et une nuits », dans la Cour d’Honneur et ce sera à n’en pas douter un temps fort du Festival.
Sinon, le menu est solide : pour le Théâtre, on ne ratera pas bien entendu le Thomas Ostermeier qui monte un Ibsen plutôt confidentiel à l’Opéra, « Le canard sauvage », tout comme on ira voir le Milo Rau, pièce collective en itinérance intitulée « La Lettre ». On attend également beaucoup de François Tanguy qui avec son inventif et singulier Théâtre du Radeau monte « Item » au gymnase Mistral, comme sa créa « Par autant » toujours à Mistral. On suivra évidemment la nouvelle créa du maître des lieux, Tiago Rodrigues, qui propose une dystopie SF « La distance » à L’Autre Scène de Vedène. On scrutera Marthaler et son « Sommet », à La FabricA, même si le metteur en scène est parfois très inégal… Comme on s’intéressera aux propositions de Bashar Murkus, « Yes Daddy » à Benoît XII, Gwenaël Morin au Jardin de Mons avec un énergique sans doute « Démonter les remparts pour finir le pont », ou encore Joris Lacoste, qui peut produire de l’excellent comme parfois se planter, avec « Nexus de l’adoration » au Gymnase Aubanel… Et puis, pour les amateurs de soirée théâtrale éprouvante, le « Soulier de Satin » de l’indigeste Claudel sera donné dans la Cour avec la Comédie Française. On l’a vu à Paris, les avis son partagés. En tout cas, attendez-vous à 7 heures de représentation plus deux entractes, qui vous amèneront jusqu’à six heures du mat…
Pour résumer donc, une programmation plutôt assise, qui tient la route sur le papier, même si un peu convenue…
Il y aura bien sûr pas mal de découvertes, notamment en provenance du Maghreb, du Proche Orient et d’ailleurs, puisque 21 pays seront représentés cette année. Il faudra guetter ces nouveaux venus et ne pas hésiter à tenter l’expérience… A ce sujet, il faut impérativement suivre les petites formes souvent intéressantes des trois séries de « Vive le Sujet » données au Jardin de la Vierge de saint Joseph.
La Danse est elle très bien représentée, même si deux ou trois propositions nous laissent perplexes… En tout cas, il ne faudra pas rater l’artiste « complice » et son « NOT » dans la Cour d’honneur. Hamrita Hepi, chorégraphe australienne, présente « Rinse » au Gymnase Mistral. On ira voir par curiosité. En revanche, on reste dubitatif devant la proposition d’Anne Teresa De Keersmaeker, intitulée « Brel », donnée à la carrière Boulbon. Que vient donc faire au Festival cet hommage incongru à un chanteur certes remarquable mais anachronique dans cette programmation ? De même que ce bizarre attelage d’un Israel Galvan, maestro du Flamenco contemporain et expérimental, avec un metteur en scène de théâtre documentaire, Mohamed El Khatib ? On ira voir, espérant ne pas être cruellement déçu par Galvan pour cette aventure pour le moins surprenante…
Dans le genre, ce qui nous rend perplexe également est cet hommage à la grande chanteuse égyptienne Oum Kalsoum donné par trois chanteuses « populaires » (Natacha Atlas, Souad Massi et Camélia Jordana)… On regrettera Sapho qui elle, avait su si bien réinterpréter Kalsoum avec intelligence et sensualité… Autre incongruité, cette soirée dédiée à une « héroïne » de faits divers, pour coller à l’actualité ou par démagogie ? Ou les deux à la fois ? Quant à offrir la clôture à un DJ, c’est juste exaspérant, tout simplement.
Quand on vise l’excellence pour la programmation du Théâtre et de la Danse – et c’est le cas- on se doit d’être aussi exigeant avec les autres arts… Ainsi la programmation musicale pêche vraiment : des chanteuses de mauvaise pop pour la soirée « Nour » (une « bonne » idée de Jack Lang, qui a coproduit avec l’IMA l’hommage à Kalsoum et sans doute choisi les interprètes)… Quant à la clôture, plutôt qu’un DJ, un Pascal Dusapin et son dernier opéra « Viaggio, Dante » dans la Cour, ou encore, si on veut faire « populaire », Ibrahim Maalouf ou même la poétesse rock Patti Smith, par exemple, auraient tellement été plus raccord avec l’esprit du Festival…
Bon, allez, attendons de voir pour juger sur pièce… Vivement le 5 juillet et l’ouverture de ce Festival qui restera toujours magique, quoiqu’il en soit…
Marc Roudier
Image: « Item » de François Tanguy – Photo C. Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
































