« LE GARDIEN », SE REPOSER DU TUMULTE DU MONDE

Lebruitduoff.com – 9 juillet 2025
AVIGNON OFF 25. « Le Gardien » – d’Harold Pinter – mes Li Songulashvili – Humanum Théâtre 15h.
Noir salle. Ça braille un peu dans le fond. C’est Davies le clochard. Mais est-ce son vrai nom lui qui les multiplie ? Quand la lumière se fait sur cette chambre encombrée, le plateau est nu. Juste un siège. Juste un bouddha de collection de quelques centimètres carrés que l’on ne verra que plus tard. Aston et lui sont là. C’est la chambre d’Aston et Davies déjà parle trop. Trop fort. Trop mal. Trop. Et déjà Aston parle si peu. Juste un peu pour recueillir Aston. Pour l’inviter. À s’asseoir. À dormir. À se poser, se reposer du tumulte d’un monde.
Si l’on traduit littéralement le titre original « The caretaker » on pourrait dire ça, le « preneur de soin ». Aston, Davies et puis un peu plus tard Mick, le frère d’Aston. Tous les trois prendront soin. Davies le dit tout de suite. Il prend soin de lui. Prendre soin de la chambre. De la maison de Mick. D’Aston guéri de sa folie passée. Cette cabane à construire dans le jardin et qui ne viendra pas. Jamais. Chimères. Presque anodines chimères et mots de tous les jours. Des mots dits et redits. Comme en balade. Des mots parfois maudits. Sûrement maudits quand ils se cognent à ses murs vides. Trop noirs. Trop pleins d’un futur qui n’adviendra sûrement jamais. Passer des mots sourires aux mots rugueux de Mick et durs comme le cuir usé des chaussures de Davies. Chaussures chimères elles aussi quand Aston tente en vain de les remplacer. Et de les remplacer encore.
Ces trois là se tournent autour. Ils se flairent. Parfois s’effleurent de peur de se toucher vraiment. De s’attacher. Peut-être de s’aimer. Peut-être de s’aimer qui sait ? Pas de lacets pour les chaussures. Pas de liens. Et cette histoire d’odeur. L’odeur de Davies. Il pue. Non tu ne sens rien. On ne sait plus. Ils se guettent. On les regarde. Lui il veut… Que veut-il ? Que veulent-ils ? Tous les trois comme des noyés dans leurs mots et leurs silences. Leurs mots et leur résonance. Pinter qui fraye avec l’absurde. Pinter qui s’amuse et tire les ficelles. Et c’est drôle. À moins que ce ne soit l’inverse quand ces trois lascars de personnages pourraient bien s’amuser de leur auteur. Alors tout à coup dans ce risible-là il survient le tragique. Un drame en sourdine. Comme un fil tendu de funambule. Qu’adviendra-t’il d’eux qui entrent et sortent ? Parlent. Entrent et sortent encore. Parlent et se taisent et crient. Vont et viennent en vain. Et lui le clochard presque « céleste », gardien hypothétique d’une fratrie illusoire soudain prête à le chasser de leurs douces illusions. En sera-t-il le gardien ? Seront-ils le gardien de la goutte d’eau? De qui le seront-ils ?
Une mise en scène sobre et intelligente de Li Songulashvili. Un théâtre dépouillé qui donne au texte une résonance toute contemporaine. Où en sont nos modes de relations et de communication ? Où en sommes-nous tout court de nos solitudes ? Vaste sujet !
Raphaël Harié, Louis Le Bozec et Thomas Volt ont visiblement le plaisir de jouer avec Pinter. Ils sont justes, complices et sincères. Les mots. Toujours les mots.
Arthur Lefebvre
Image : L’auteur Harold Pinter – Photo DR
































