« 3 QUESTIONS A… » CORENTIN SKWARA POUR « TACOMA GARAGE »

INTERVIEW. 3 questions à Corentin Skwara pour le spectacle « Tacoma Garage », donné au Transversal.
Le Bruit du Off : – Vous jouez votre propre personnage dans un texte ne comportant pas de fiction et en incluant même votre femme dans le spectacle. Comment pouvez vous garder cette distance souvent nécessaire au jeu ?
Corentin Skwara : Étonnamment, ça c’est fait très naturellement. Je redoutais le fait de raconter ma propre histoire. Mais quand j’ai commencé, j’ai juste partagé ma passion pour le groupe – The Sonics – avec mon équipe à qui je racontais mon histoire. Et puis, j’ai raconté un voyage à mes potes. Ça, c’est simple, c’est possible. Et c’est devenu naturel. J’ai beaucoup écrit aussi. Donc, quand je raconte l’histoire, je dis un texte. Je le prends en charge et même si le personnage c’est moi, je ne pense plus vraiment qu’il s’agit de moi. Je le sais. C’est moi, tout ça m’est arrivé. Mais c’est aussi quelqu’un d’autre. Le personnage va changer son nom en cours d’aventure, parce que Corentin est un prénom difficile à prononcer pour les anglos-saxons. Il se renomme Corey. Et Corey, c’est une espèce de double, un aventurier cinéaste, un gars qui ose jouer de la guitare électrique sur scène devant du public et montrer les images qu’il a filmées. Qui n’est pas tout à fait la personne que je suis au quotidien. La personne à qui arrive toutes ses aventures et qui a une quête extraordinaire. C’est moi, mais ce n’est pas moi. Et bizarrement, j’ai tout de suite eu de la distance avec lui; dans l’écriture comme dans la prise en charge du texte. Le temps écoulé entre mon épopée et ma prise en charge du récit a certainement aidé aussi. Les mots de mon équipe dramaturgie aussi, ça m’a donné un autre regard sur ce que j’avais vécu. Des choses que je savais intimement mais que je peinais à nommer. Et puis, en faisant, tout s’est crée naturellement.
– Vous possédez une pépite avec cette matière accumulée en filmant les Sonics lors de cette fameuse tournée. Comptez-vous la présenter un jour et sous quelle forme ?
J’en rêve ! J’ai très vite eu conscience que je vivais quelque chose d’exceptionnel, quelque chose de plus grand que moi, quelque chose qui me dépassait. Je voulais tout inclure dans le film, leur histoire et le making of. Mais ça semblait trop compliqué; pertinent mais risqué. C’es aussi pour ça qu’est né le spectacle où je raconte le hors-champs de ce que j’ai filmé, comment je suis allé pêcher mes images. Car ça me semblait aussi intéressant que les images elle-mêmes. Ça les contextualise et ça raconte une aventure très forte.
Quant au film, je reviens de Seattle et de Tacoma et ça a vraiment réveillé quelque chose en moi. L’envie de retourner dans mes images, d’ajouter celles que je viens de filmer. Je ne sais pas sous quelle forme ça va sortir, mais je vais m’enfermer avec mes images en septembre et voir ce qui ressort de ça. J’ai envie de les partager, pas de les garder comme archives éternellement.
– Quel est votre sentiment par rapport à la rudesse de jouer au Off d’Avignon ? Quel conseil donneriez vous à une jeune troupe qui veut se lancer dans l’aventure ?
Je savais que ce serait difficile de venir jouer au Festival. J’ai joué à Avignon un autre spectacle – L’herbe de l’oubli – en 2018 au Théâtre des Doms, le théâtre des belges en Avignon. Ça a été une magnifique expérience pendant le festival mais aussi après pour les tournées, nous sommes allés jouer jusqu’en Chine, au Théâtre National de Chine à Pékin ! Mais le Théâtre des Doms est un lieu magique où les conditions sont favorables pour les compagnies et les spectacles belges. Participer au festival ailleurs a un coût financier plus élevé, implique plus d’efforts, moins de visibilité. Et donc, plus de stress, plus de tensions, plus de risques.
Venir jouer ici coûte cher. Tout le monde caresse l’espoir que son spectacle soit remarqué, que sa salle soit remplie. Mais entre les 1820 spectacles (1740 officiellement en fait, NDLR) présents cette année, pas simple de se démarquer.
Il faut du courage, beaucoup de courage. Un spectacle qu’on aime jouer, qu’on aime pitcher, dont on aime parler. Ça, je dirais que c’est la base. Il faut un théâtre qui ne coûte pas trop cher mais qui ait une bonne réputation, une bonne visibilité. Lorsque le Théâtre Transversal m’a contacté, j’ai tout de suite acquis l’impression qu’il s’agissait d’un lieu de qualité, de confiance, d’un espace sain avec une belle énergie. Et que quelque chose était possible entre nous.
Je conseillerais aussi de ne pas s’endetter pour venir jouer ici, car alors la pression financière pendant le festival peut devenir dingue. Un ami avignonnais me rappelait il y a quelques mois que le Festival est une loterie : chaque année il y a des gagnants, ça entretient le rêve. Mais les loteries fonctionnent grâce à toutes et tous les participants. Celles et ceux qui ne gagnent pas. Il faut le savoir avant de venir.
Il faut venir ici avec beaucoup d’humilité et une énergie saine – ou scène – et positive.
Propos recueillis par Pierre Salles
































