« 3 QUESTIONS A… » COLLECTIF FOUIC POUR « HAPPY APOCALYPSE »

INTERVIEW : 3 questions au Collectif FOUIC pour « Happy Apocalypse » qui se joue au 11.Avignon.
Le Bruit du Off : – Vous proposez un spectacle complet avec énormément de comédiens sur scène pour un Off et un décor complexe. N’est-ce pas un pari un peu fou de présenter un tel spectacle dans ce Off d’Avignon, à quelles contraintes avez-vous été confronté ?
Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé : Oui, c’est complètement fou. On ne va pas faire semblant de dire le contraire. Monter un spectacle de cette ampleur dans le OFF, avec une vraie équipe artistique et technique, un décor imposant, une scénographie mouvante, 3 musiciens en live… C’est un pari totalement déraisonnable. Mais c’est aussi ce qui nous anime.
On a une équipe complètement folle, prête à relever ce genre de défi. Et aujourd’hui, il faut bien que les compagnies, qui le peuvent encore, osent encore ça : proposer des formes collectives, ambitieuses, qui sortent du cadre minimal du seul en scène sans décor. Le OFF ne peut pas être réservé aux scénographies économes, sinon seules des propositions de plus en plus minimalistes vont être proposées au public, et on ne peut pas s’y résoudre. Déjà créer une pièce qui dure plus de 1h20 devient compliqué ! Faire ce type de spectacle est une manière de lutter (en espérant que le salles auront les moyens de nous accueillir !)
Et puis le spectacle parle de l’inclassabilité, on ne pouvait quand même pas rentrer dans des cases, ou alors au chausse-pieds ! (Notre équipe géniale est donc un chausse pieds géant qui rend possible l’impossible !)
Et on ne peut pas célébrer le vivant tout seul ! (Et nous sommes très bien entourés)
– Votre spectacle est foisonnant de trouvailles en tout genre. Est-ce le résultat d’un travail d’écriture ou donnez vous beaucoup de libertés à vos comédiens qui semblent énormément proposer sur scène ?
Les trouvailles, c’est un mélange subtil. Celles qui sont scénographiques, par exemple, se travaillent très en amont avec la scénographe Marie Hervé, qui nous accompagne tout au long de la création. Le décor est en perpétuel mouvement, et on l’imagine dès le début comme un partenaire de jeu à part entière.
Simon Demeslay, l’éclairagiste est également là depuis les premiers instants de pensées, et on joue, on cherche, on va au musée ensemble (à la biennale de Lyon par exemple ou le sujet sur la fragilité semblait correspondre parfaitement à notre projet) on s’envoie des vidéos, des tutos, des extraits de livres, des blagues (c’est très important !) et tout ça nous nourrit, et nous amène sur le terrain du jeu, de la recherche et de la curiosité.
Ce spectacle-là, en particulier, demandait avant tout de la rigueur. On est très nombreux sur scène, avec un décor imposant, et un dispositif sonore très complexe (créé par ce génie de Georges Hubert). Il a donc fallu trouver un langage commun, un rythme collectif très précis, pour que tout puisse tenir ensemble, sans que personne ne soit écrasé, ni par le dispositif, ni par la complexité de la partition.
Ce n’est pas un spectacle où les comédiens proposent “des choses” en cours de route qui changeraient la nature du projet. Chacun a évidemment apporté son intensité, sa présence, sa couleur, mais dans un cadre très construit. Et Jean-Christophe écrit pour les acteurs, ce sont donc des chaussons douillets dans lesquels il n’y a plus qu’à se glisser.
En fait, le spectacle repose sur une grande générosité, sur scène, en coulisses, dans les transitions… Les comédiens sont sans cesse en action, même lorsqu’ils ne sont pas visibles. Et c’est cette générosité-là, cette implication totale, qui donne à l’ensemble son souffle. Le foisonnement ne vient pas de l’improvisation, mais de la précision et de l’engagement de chacun dans une partition collective très exigeante.
– Vous travaillez en binôme pour la mise en scène de vos spectacles (Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé) alors que Jean-Christophe Dollé assure seul l’écriture des textes. Quelle est l’origine ou la nécessité de ce choix artistique ?
C’est un fonctionnement qui s’est construit au fil du temps. Moi, Clotilde, je n’écris pas. En revanche, je m’imprègne des obsessions de Jean-Christophe, je les rajoute aux miennes, et je travaille sur le rythme, les images, les silences, les enchaînements.
Jean-Christophe est très musique, texte, articulation des voix. Moi, je suis davantage sur l’agencement, le sens caché, le détail. On pourrait dire que je suis la dramaturge de l’ombre. Et après 25 ans de collaboration, chacun sait où il est, mais on ne cesse jamais de se surprendre l’un l’autre.
Nous sommes complémentaires, on partage un même goût pour le décalage, le romantisme discret, l’humour sous tension. On veille ensemble à ne pas sombrer dans le pathos, à ne pas asséner. Il faut que les choses soient distillées, suggérées, et que ça explose au bon moment. Ce mélange de rigueur, de liberté et de tendresse, c’est ce qui fait, je crois, la singularité de nos spectacles.
Propos recueillis par Pierre Salles
Photo Pascal Gely
































