LE BRUIT DU OFF

INTERVIEW. 3 questions à Claire Laureau et Nicolas Chaigneau pour leur spectacle « Derrière », joué au 11.Avignon.

– Le Bruit du Off : Dans « Derrière », vous construisez une fiction burlesque qui utilise la mécanique de l’absurde, un jeu entre le théâtre « rêvé » et ce qu’il advient lorsque tout rate. Pouvez-vous nous en dire plus sur les ressorts de cette construction loufoque qui flirte avec le comique de situation présent dans le cinéma d’un Chaplin ou d’un Keaton, et plus récemment avec les situations absurdes que développe par exemple un Pierre Richard dans ses « Grands Blonds » ?

-Claire Laureau et Nicolas Chaigneau : « Derrière » est né en même temps que la création précédente « Les Galets au Tilleul » (…). Ces deux spectacles, très distincts dans la forme, sont nés d’une envie de ralentir, d’étirer le temps, et de jouer autour d’une certaine idée du vide. Dans « Derrière », l’enjeu principal est de rendre captivant un spectacle qui ne fait pourtant qu’échouer, et tenter de sublimer la tragédie, très relative, de cet échec. C’est une pièce qui s’amuse à bousculer la posture de spectateur, ses attentes, en proposant sur scène des séquences les plus pauvres ou inconséquentes possibles, tout en essayant, par une multitude de bricolages, de stimuler la capacité d’imagination du spectateur et sa liberté d’interprétation.

– Après « Les déclinaisons de la Navarre » en 2017 ou « Les galets au Tilleul » (2022), quelle filiation artistique votre nouveau spectacle entretient-il avec les précédents ? Et comment positionnez-vous ce spectacle dans votre travail ?

Le point commun de ces trois spectacles est évidemment un goût prononcé pour l’absurde. Nous partons à chaque fois de situations à priori sans intérêt, et tentons d’en extraire, avec humour et minutie, leur part de sensible, d’absurde et de poétique. La particularité de « Derrière » est peut-être sa construction, qui a été pensée comme un scénario, plutôt qu’un assemblage type exercice de style pour les deux précédents.

–  Le Off est devenu un immense marché capitalistique, à l’exact opposé de ce qu’avait rêvé son fondateur André Benedetto, qui l’avait imaginé comme un contre-courant alternatif au théâtre qu’il jugeait « bourgeois » et « élitaire » du IN. Que pensez-vous de cette « évolution » de ce Off qui a muté en super foire au fric et aux opportunismes ? Et comment vous positionnez-vous -politiquement ou simplement en tant qu’artistes- face à ce constat accablant ?

Il est impossible de répondre à cette question en quelques lignes, et nous ne nous voyons pas faire le procès d’un festival auquel nous participons pour la troisième fois. Nous avons eu la chance de jouer dans des lieux identifiés (La Manufacture avec « Les Déclinaisons de la Navarre » en 2017, puis le 11 Avignon avec « Les Galets au Tilleul (…) » et « Derrière » en 2022 et 2025). Ces théâtres construisent une programmation exigeante et ne se contentent pas simplement de louer leur salle.
Nous aimerions qu’il y ait d’autres alternatives, mais la réalité, c’est qu’Avignon reste de très loin le meilleur (seul ?) moyen aujourd’hui de présenter son travail en série longue, permettant ainsi de toucher un plus grand nombre (public, professionnels, presse).
Et même si plein d’aspects du Off sont questionnables, il reste clairement la joie des rencontres avec les autres compagnies, le public, les découvertes, le bouche à oreille, les salles qui se remplissent, et l’ouverture de perspectives pour la suite ! Bien sûr, nous parlons en fonction de nos expériences qui se sont toujours bien passées à Avignon et sommes bien conscients que toutes les compagnies ne vivent pas les choses ainsi.

Propos recueillis par Marc Roudier