FOREVER YOUNG, l’insurrection qui vient
VU : Forever Young / Jean-François Matignon / Compagnie Fraction / La Manutention / jusqu’au 22 juillet (relâche le 17) / 19 h.
Ce nouvel opus de Jean-François Matignon a la rage. La rage froide de ceux qui, lucides, constatent avec effroi la casse permanente et préméditée de tout ce qui fait humanité. Soit ces utopies qui nous ont construits, tout au long de ce XXe siècle terrible mais beau, effroyablement beau, et qui ont su tenir en échec la brutalité inouïe de nos sociétés sans morale, sans amour, sans poésie. Une révolution permanente dont se réclame ce Forever Young éternellement jeune.
« Nous voulons tout » dit une énorme bannière rouge, au lointain, quelque part dans la progression de ce Forever… Et pourquoi pas, après tout ? Pourquoi effectivement se résigner, se dissoudre, s’anéantir… Il doit bien rester au fond de chacun d’entre nous, ce souffle de force brute et de colère qui peut réveiller le monde. C’est en tout cas le pari que fait cette pièce, une idée certaine de la nécessaire insurrection.
Citant Antonin Artaud, cet insoumis d’entre les insoumis, Jean-François Matignon revient à un théâtre « qui bouscule le repos des sens, libère l’inconscient comprimé,pousse à une sorte de révolte virtuelle et qui d’ailleurs ne peut avoir son prix que si elle demeure virtuelle, impose aux collectivités rassemblées une attitude héroïque et difficile »… Un théâtre de combat comme l’ont su le pratiquer en leur temps, nos grands héros du siècle, poètes électriques et furieux que furent Maïakovsky, Artaud, Grotowski, ou Julian Beck…
Bien sûr, cette approche radicale ne va pas sans une certaine naïveté, assumée. Mais après tout quel risque y a t-il à vouloir tout ? Revendiquons le droit à la naïveté, à l’utopie… Dans notre monde contemporain, férocement cynique et froid, c’est un devoir.
C’est en tout cas ce que ces héros de Forever young ont cru -pauvres hères perdus dans ce fatum oppressé-, sincèrement, du tréfonds de leurs tripes, de toutes leurs dents plantées dans la chair rance du monde. Parcours épuisé par des décennies de résignation lâche, après qu’ils eurent sous les yeux la chance de saisir leur destin à pleines mains…Forever young nous dit ces désillusions-là, ces renoncements, cette infinie tristesse qui vient.
Quand la mort entre en scène, et que l’on plonge alors dans ce qui a accompagné cette jeunesse terriblement vivante, amours, révoltes, courage et folie, folie surtout, que cette liberté absolue de croire en l’homme, de vouloir tout… alors la vie virevolte au-dessus de la vague puissante du souvenir et des refoulés. Forever young dit tout cela, et plus encore, à sa manière brute, violente, jeune. Vivante.
Comme toujours avec le metteur, un dispositif scénique réduit à sa plus simple expression, bric à brac d’atelier infiniment banal, tellement humain, un éclairage à minima et une direction d’acteurs qui ne contraint pas, mais autorise aux passeurs du texte -le texte chez Matignon, est toujours au centre du jeu- toute l’ampleur et la fluidité nécessaires, sont les vecteurs parfaits de cette rage qui exsude.
Des comédiens qui se livrent sans apprêt, dont la puissante Sophie Vaude (déjà vue dans Swann et La Peau dure) et le très présent Roland Pichaud, tous immergés avec leur metteur en scène dans cet acte de foi, pour un théâtre qui s’engage.
Mais aussi un théâtre à fleur de peau, fragile dans ses imperfections, surtout libre comme l’air, et parfaitement humain.
Marc Roudier
Ah que j’aime cette forme de théâtre ! ! ! !