« ET ME VOICI ROI D’UN PAYS QUELCONQUE », PESSOA ET SES AUTRES
lebruitduoff.com – 13 juillet 2022
AVIGNON OFF 2022 – « Et me voici soudain roi d’un pays quelconque » – m.e.s. Guillaume Clayssen – au 11 Avignon – à 20h40 du 7 au 29 juillet relâche 12, 19 et 26 – durée 1h15.
Fernando Pessoa est un écrivain et poète né à Lisbonne le 13 juin 1888, qui s’est dédoublé en de nombreuses autres personnes. Le poète à donné une existence à trois hétéronymes : Alberto Coeiro, Alvaro de Campos et Ricardo Reis, chacun étant pourvu d’un état civil, d’une singularité somatique, de certains tics. D’ailleurs ces trois personnages avaient leur propre identité et la liberté « de s’envoler autre » selon ses dires. La pièce aborde en profondeur le monde intérieur de Pessoa en proposant un mélange de folie, de quête de la personnalité et d’interrogations sur le monde qui l’entoure.
La comédienne Aurélia Arto s’imprègne complètement les diverses identités de Pessoa, dans un dialogue permanent entre Pessoa et ses autres. D’entrée de jeu, le public comprend l’univers particulier, étrange et inquiétant dans lequel il se trouve par une scénographie qui fait référence aux multiples facettes de l’écrivain : des colonnes blanches, toutes recouvertes en recto d’un miroir pour représenter les dédoublements des multiples facettes du personnage principal qu’est Pessoa. Ce spectacle, emmène le spectateur dans les abysses d’un poète qui se dédouble à l’infinie, l’aspect présomptueux y est largement démontré. C’est dans un univers troublant et angoissant que le public va être embarqué pendant la durée du spectacle.
La comédienne, incarne et fait vivre toutes ces identités avec justesse, le ton va crescendo, tout d’abord par un discours avec ses autres, pour laisser place ensuite à un brouillard de l’esprit donné par un fond sonore assourdissant qui semble venir du spectacle du dessus, interrogeant ainsi le public sur l’origine de cette musique. Vient ensuite la prise de conscience que personne ne lui répond, passage encore une fois très troublant et touchant, la comédienne fait vivre ce moment avec une réelle intensité que l’on perçoit alors l’inquiétude, le désespoir et la peur du personnage qui s’est dédoublé et qui réalise que si le dialogue entre eux est inexistant leurs existences peuvent elles aussi ne pas être.
Pessoa précise à propos des métamorphoses hétéronymiques : «Je ne change pas, je voyage», ce qui résume bien la pièce, un voyage dans le ou les mondes des âmes errantes de ce poète. L’hétéronomie, fait de Pessoa une figure étonnante et incontournable de la poésie contemporaine.
Ce spectacle est une très belle proposition sphérique d’un monde juxtaposé du réel dans l’imaginaire ou de l’imaginaire dans le réel. Tout est habilement combiné pour faire voyager le public dans les méandres de la pensée de Pessoa, l’interprétation remarquable d’Aurélia Arto donne à ce spectacle sa dimension qui en fait une totale évasion.
Béatrice Stopin
Photo © Emmanuel Viverge – TMT photo