LE BRUIT DU OFF

Lebruitduoff.com – 13 juillet 2025

AVIGNON OFF 2025. « Le Cri du papillon » – Conception, composition musicale, texte, voix et écriture visuelle : Pascal Fodor – Mise en scène Richard Navarro – avec Laura Sauton, Léonard Cavadini, Pascal Fodor – Chapelle des Italiens jusqu’au 26 juillet à 22h25 – Relâche les mardis.

Au commencement était le conte. Un conte issu des profondeurs de notre lointain mémoriel, où une Alice non pas évanescente mais forte, charnelle, côtoie un Arsène lapin habité, un monsieur Loyal d’un autre monde…

Ce sont toujours les images qui construisent les mythes. Ou peut-être est-ce l’inverse… « Le Cri du papillon » traite de cela, de ce télescopage improbable du mythe avec le maelström réel de nos profondeurs neuronales, notre mémoire fabriquée d’un espace rêvé, où les petites filles courent après un lapin fou et en tombent amoureuse, où ce monde-là flotte dans un univers bienheureux et bienveillant, une soupe quantique universelle qui nous enveloppe d’une lumière réconfortante.

« Le cri du papillon » est une rêverie, on l’a dit, un territoire à part où s’installe toute la prégnance de nos souvenirs les plus enfouis. Pour accompagner cette expérience sensorielle, Pascal Fodor l’immerge dans une musique d’une puissance rare, un rock symphonique mâtiné d’un psychédélisme issu des plus lointaines terres intimes du maestro Fodor. Un compositeur surdoué, et un musicien exceptionnel, qui au plateau et en live, accompagne sa création avec la foi du démiurge…

Cette osmose entre la musique et l’esthétique si particulière du « Cri », imprégnée du cinéma de Tim Burton ou de celui de David Lynch est d’une évidence limpide. De Burton, on saisira toute l’atmosphère étrangement absurde du cinéaste, de Lynch il y a en filigrane ce même goût de la déambulation lente. Il y a d’ailleurs, entre autres, un clin d’oeil à Mulholland Drive dans les images qui défilent comme en surtitrage visuel de ce qui se passe au plateau… Une esthétique nourrie de ce cinéma-là donc, mais aussi d’une galaxie d’auteurs, de Lewis Carroll of course à la poésie acide d’un Julian Beck et ses visions d’un désert lent, jusqu’à l’univers sous trip d’un William Burroughs ou à celui, primal, d’un Henri Michaux mescalisé…

Un drôle d’univers parallèle, qui infuse cette création opératique singulière, construite et orchestrée au millimètre. Une oeuvre puissante d’où émergent la figure d’une Alice à la présence incroyable et aux multiples facettes de comédienne, danseuse et acrobate -il faut voir le final aux anneaux, extraordinaire- confrontée à un Loyal burtonnien et à un Fourras improbable qui mène tout son petit monde à la baguette : le Fodor en personne, passant allègrement de son clavier-trône au plateau, pour y jeter sa pincée de poudre verbale magique…

Entrer dans cet univers onirique constitue une expérience sensorielle puissante. Avec le « Cri du Papillon », Pascal Fodor explore les confins d’une chimie particulière de l’esprit, un imaginaire voguant au gré de réminiscences venues du plus profond de nos abysses mnésiques. Il faut se laisser porter par cette rêverie poétique immersive, qui fait se télescoper les images et les sons d’un trip existentiel comme enfoui dans la profondeur de notre cerveau , qui resurgit à notre insu. Un voyage épiphanique, une résurgence mémorielle qui nous libère.

Marc Roudier

Photos Lena Kaercher