AVIGNON OFF : « COMME IL VOUS PIETRA… »
LE BRUIT DU OFF / 12 juillet
AVIGNON OFF : « Les chaises » et « Être ou paraître » / de Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault / au théâtre du Chien qui fume jusqu’au 27 juillet à 22h30 / en alternance jours pairs et impairs.
Le duo Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault créent ensemble depuis 2004 des spectacles grand public, autour de la pensée chorégraphique de celle qui fut danseuse étoile à l’Opéra de Paris. Alternant grandes formes et propositions plus intimistes, la compagnie Théâtre du corps est présente à Avignon au théâtre du Chien qui fume. Ils ont choisi de présenter deux reprises en alternance : Être ou paraître et Les chaises ? Deux projets à la distribution réduite qui trouvent pleinement leur place dans le off d’Avignon, puisque ce sont deux projets chorégraphique métissés de théâtre.
La compagnie réussit, fait rare, à proposer un spectacle tout à la fois efficace, fédérateur et artistique. Nous ne sommes clairement pas dans la performance. Ici, il s’agit de présenter rapidement (les deux spectacles durent un peu plus d’une heure), dans une production légère et avec un langage accessible, des auteurs connus de tous. Il est évident que l’efficacité est de mise, mais sans aucun de ses défauts : pas de rentabilité, pas de malversation intellectuelle, pas d’atténuation du propos.
Julien Derouault est un interprète brillant qui maîtrise son corps à la perfection, du moindre mouvement de tête au jeu de bras très écrit mais tout en nuances. Des claquettes au cabaret en passant par des postures classiques mâtinées de hip-hop, son langage corporel ne peut que séduire, quel que soit nos goûts chorégraphiques. De même, le choix de tirer Shakespeare vers le lyrisme et Ionesco vers le clown, sont des parti pris justifiés et cohérents qui vont clairement dans le sens de ce que le public peut attendre de ce style. Il ne s’agit pas ici de cliver ou d’assumer un langage novateur et entier, mais bien de proposer une forme qui puisse fédérer un public nombreux et varié qui viendra sur le nom de Pietragalla, sans vraiment savoir à quoi s’attendre.
Sous-tendus par des textes forts, inspirés par des auteurs classiques et engagés (Ionesco, Shakespeare et Aragon), l’envie de porter les auteurs est clair et la volonté de transmettre, dans une grande cohérence, une esthétique littéraire par le biais du mouvement, montre à quel point le spectateur reste un facteur important pour le duo. Même s’il peut y avoir une grande volonté de séduction, le spectateur n’est jamais pris pour ce qu’il n’est pas et l’on voit se dresser entre la scène et la salle un pacte d’intelligence qui devient rare, même dans le secteur chorégraphique public. Le fait que le spectacle ait été adapté au lieu, que les chorégraphes soient présent dans la salle, que la distribution soit très hétérogène confèrent à ce spectacle une réelle démarche artistique loin de toute volonté purement marketing.
Les deux propositions se ressemblent : elles parlent du pouvoir et de la réussite personnelle ainsi que de la pureté « concrète » (la vieille fait tout le temps le ménage et le nettoyage) ou morale (ce pourrait être toute l’histoire d’Hamlet). Elles sont fondées sur la puissance évocatrice d’images très fortes, qui appellent au libre imaginaire du public. Cette juxtaposition d’images permet à la dramaturgie d’avancer petit à petit dans un espace délimité par des lumières malheureusement fades et convenues (c’est le point faible des spectacles). En revanche, les musiques, composées et/ou interprétées en live par Yannaël Quenel inspirent, prolongent ou accompagnent la poésie avec élégance et ravissement.
On se souviendra longtemps du sourire malicieux de Blandine Laignel, incroyable actrice comme de l’investissement corporel hors pair de Daravirak Bun, danseur investi et à la sensibilité exacerbée qui a su émouvoir un public venu là avant tout pour se reposer. Bien plus qu’une marque, le nom de Pietragalla est un passeport pour amener des spectateurs en quête de divertissement vers une ligne artistique tendue et puissante à la hauteur de tout ce que peut véhiculer les œuvres de Ionesco, Aragon et Shakespeare.
Deux soirées très agréables en perspective, d’autant plus que la fable clownesque de Ionesco sur l’incapacité à dire l’évidence et le refus des puissants à entendre les propositions du Vieux résonnent aujourd’hui, en pleine lutte des professionnels du spectacle pour préserver leurs droits sociaux, de manière tout à fait étrange et déroutante.
Bruno Paternot
Les Chaises ? les jours pairs avec Daravirak Bun, Blandine Laignel et Yannaël Quenel
Être ou paraître les jours impairs, avec Julien Derouault et Yannaël Quenel
un article bien conçu, c’était un plaisir de le lire