FESTIVAL D’AVIGNON : DON GIOVANNI, UN SOMMET DE VULGARITE ET DE VACUITE
68e FESTIVAL D’AVIGNON : Don Giovanni, Letztr party (Don Giovanni, dernière fête) / mes Antú Romero Nunes / Opéra Grand Avignon / Représentation du 10 juillet 2014.
Le mythe de Don Juan, personnage mythique et complexe du théâtre et de l’opéra est une source inépuisable pour les artistes qui peuvent l’aborder avec bonheur sous tous les angles. Le sous-titre de la pièce présentée par Antú Romero Nunes : « Comédie bâtarde adaptée librement de Wolfgang Amadeus Mozart et Lorenzo da Ponte » ainsi que les intentions affichées par le metteur en scène pouvaient laisser espérer une transcription théâtrale et une réappropriation musicale intéressantes du Don Giovanni, chef-d’oeuvre absolu de Mozart.
Au début de la pièce, Leporello, dans un costume d’époque, intervient au devant de la scène et invite le public à répéter des onomatopées et des airs simples en le dirigeant comme un chef d’orchestre. Le public participe volontiers dans un choeur étonnamment réussi. Ce prélude, un peu longuet, aiguise la curiosité et ‘limpatience des spectateurs. Puis apparaissent six musiciennes vêtues en costumes noirs genre gothique avec tutus et perruques choucroute. Cette ouverture musicale annonce une comédie un peu lourdingue mais attendons de voir…
La suite est une succession de scènes dont la trame suit assez fidèlement le livret de da Ponte. Les protagonistes sont vêtus sans imagination de costumes d’époque alourdis, sans doute pour accentuer l’effet comique. Don Giovanni, bien fait de sa personne, poitrine à l’air, drague les femmes du public, combat dans un duel à l’épée bien mis en scène un commandeur qui apparaît comme un vieillard sénile et qui ressuscite curieusement pour produire quelques simagrées inutiles.
Don Giovanni s’en donne à cur joie, donne un long baiser à Leporello comme pour révéler au public une bisexualité cachée depuis plus de deux siècles, trousse Zerlina sur le piano. La liste des amantes de Don Giovanni, le fameux catalogue tenu par Leporello, un des moments truculents du livret, est malheureusement dite avec rapidité et de façon insipide. L’effet comique recherché tombe à plat. Don Ottavio, personne amoureuse, soumise, fragile et faible, est ici présenté comme un sombre imbécile qui, dans sa déclaration d’amour à Donna Anna, lui promet monts et merveilles, y compris de lui porter ses sacs en plastique lorsqu’elle fait ses courses. Quel subtil et génial anachronisme !
Donna Anna et donna Elvira s’essayent parfois à chanter les airs célèbres de l’opéra. L’effet en est désastreux et l’on se demande si ces actrices-chanteuses se prennent vraiment au sérieux ou si c’est encore un trait d’humour malvenu. Un air de Dona Elvira, celui-ci pas trop mal interprété, est interrompu brutalement car on soulève ses robes pour y découvrir un amplificateur et on lui en fait le reproche. Cest un gag ! Avant l’entracte, Don Giovanni invite les femmes du public à monter sur scène. Une centaine se livre au jeu. Le piano joue de manière répétitive et poussive le thème de l’air « Viva la libertà ! ». Le rideau se referme sur ces femmes avec une musique de boîte de nuit. Elles vont sans doute être les nouvelles victimes de Don Giovanni. Quel comique !
Le texte, en allemand surtitré en français, est d’une pauvreté déplorable et émaillé de lourdes plaisanteries. Les personnages, interprétés malgré tout par de bons acteurs, sont sans épaisseur, sans personnalité, caricaturés et dirigés pour privilégier l’aspect comique. On préfère largement à cette fadeur une bonne Commedia dellarte. Le décor se compose de trois grandes couronnes concentriques de projecteurs qui montent, descendent ou s’inclinent. Ce lourd dispositif n’apporte pas grand-chose et paraît souvent inutile. La musique instrumentale, bien interprétée par un orchestre dans une composition originale, est toutefois une succession de reprises pénibles d’airs de Mozart et de musiques de films.
Certes l’on n’est pas venu voir un opéra ! C’est du théâtre, de la comédie. Mais de la mauvaise comédie, lourde et poussive, une mauvaise parodie qui rappelle l’humour vulgaire de certains théâtres bien connus dans le Off d’Avignon. Une partie de public rit et adhère. Pourquoi pas ? Mais on confond une fois de plus populaire et vulgaire. Ce type d »humour basique a toujours son public mais ce n’est pas celui que l’on attend à Avignon, qui mérite bien autre chose.
JLB
Article publié sur INFERNO MAGAZINE le 12 juillet.
Photo C. Raynaud de Lage / Festival d’Avignon