SOUTERRAIN BLUES : LE BLUES DE PETER HANDKE DANS LES SOUS-SOLS D’UN METRO FANTÔME
LEBRUITDUOFF.COM / 23 juillet 2014.
AVIGNON OFF : Souterrain Blues / Peter Handke / Xavier Bazin / au Collège de la Salle jusqu’au 27 juillet à 11h45.
Le cynisme acerbe de cet homme (interprété par Yann Collette) qui, dans les sous-sols d’un métro fantôme, provoque de son verbe incisif les spectateurs, voyageurs immobiles des rames se reflétant dans le miroir placé derrière lui, agit comme un scalpel fouillant les chairs d’une humanité ayant renoncé à la quête de la beauté des choses et des êtres. Rien ne trouve grâce à ses yeux : les petitesses et autres petits arrangements avec la réalité de nous autres frères humains sont projetés comme le seraient les éclats d’une bombe à fragmentation.
Et pourtant, ce qui ressort de cette harangue sans concession aucune, c’est une pureté phénoménale, le désir insensé d’une pureté des âmes qui transcenderait tout ce qui constitue les bas-fonds de nos pensées banales. C’est sans doute pour cette raison que le discours n’est pas reçu comme une agression mais comme la réhabilitation d’un rêve enfoui (sorte d’antidote aux « Carnets du sous-sol » de Dostoïevski), celui d’ouvrir grand les yeux sur la beauté indicible du monde, celui que l’on porte en secret comme un rêve d’enfant auquel on aurait abdiqué. Ce cri articulé qu’il pousse avec une douceur au coin des lèvres résonne en filigrane comme la promesse d’une nouvelle aube convoquant « Le Cri du Butor » d’Aragon : « N’attends pas / Parle avant que tu meures / Tu risques voir le vent effacer ta foulée / Comme aux bêtes qui font leur chemin sans savoir /A quels pas de destins sont leurs traces mêlées / Pourvu que ce chemin mène vers l’abreuvoir / Sans donner un regard aux oiseaux envolés ».
Le très beau texte-poème de Peter Handke fait entendre, dans les marges de ce qu’il évoque, un blues qui au final se révèle plutôt rassérénant. Impression renforcée par le jeu du comédien qui reste toujours en-deçà de la révolte agressive pour se tenir dans la zone d’une compassion empathique.
Deux (petits) regrets cependant à ce beau moment de théâtre : la voix de l’acteur manque peut-être d’un soupçon de profondeur magnétique, et, surtout, l’intervention ultime d’un autre personnage « explicatif » retire à la chute la force poétique contenue dans le corps du texte.
Yves Kafka
Photo Gala Collette