« LA PEAU DURE » DE J.F. MATIGNON, LE THEÂTRE A L’ETAT PUR

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LEBRUITDUOFF.COM – 10 juillet 2015

AVIGNON OFF 2015 : La Peau Dure / D’après Raymond Guérin / mes Jean-François Matignon / Au Théâtre des Carmes (attention, le spectacle se joue au 17 rue Petite Saunerie) du 8 au 20 juillet (relâche le 14) à 18h30.

Il est rarissime qu’une oeuvre, au théâtre, vous fasse ainsi le poing, à l’estomac. Cette Peau Dure est de celles-là, de cette trempe-là, de cette fulgurance. Le choix d’un texte dur, cruel, remarquablement écrit y est évidemment pour quelque chose. Raymond Guérin était de cette race d’écrivains qui ne plient pas, jamais. A l’instar d’un Céline, ou d’un Pierre Guyotat, aujourd’hui. Ces écrivains-là n’ont peur de rien. La même intransigeance, la même exigence les habitent. Ils portent très haut la littérature, ils la vénèrent, mais ne lui font pas de cadeaux. De la même façon, la vie, le public, la vie littéraire n’ont jamais fait de grâces à Raymond Guérin ; l’ont laissé pourrir dans sa province, sans jamais lui accorder le crédit auquel, lui plus que tout autre, avait droit. Ainsi va la vie, injuste, et la littérature…

Dans la Peau Dure, donc, trois femmes, trois soeurs, que la vie a exclues des joies simples, de l’amour, du bonheur. Trois soeurs si dissemblables, et pourtant tellement identiques, que la même histoire, inlassablement, entâme et use jusqu’aux os. Trois résistantes, femmes debout, malgré tout, envers et contre tous. La comédienne Sophie Vaude, que l’on avait déjà remarquée dans le Tour d’Ecrou ou, dernièrement, dans le Swann monté par le même Jean-François Matignon au Théâtre des Halles, les incarne tour à tour superbement. Elle y distille son art du théâtre avec une grâce rare. Un instinct de comédienne née, que le travail, exigeant, et l’intelligence du rôle nourrissent et régénèrent. Avec cette fragilité mâtinée d’une paradoxale assurance, qui accomplit là une merveille d’équilibre et de force. Une pure leçon de théâtre.

Si le miracle existe, c’est bien évidemment à la mise-en-scène virtuose de Jean-François Matignon qu’il le doit. De cet objet nu, minimaliste, de cette pièce élémentaire dans sa crudité même, le metteur-en-scène a tiré une oeuvre polysémique d’une très belle fluidité. Le dispositif en appartement lui sied impeccablement. Une évidence, que de jouer cette oeuvre dans la succession de salles et du jardin d’un appartement délabré, dont l’esthétique est parfaitement raccord au texte. Une scénographie  pré-existante, en amont de l’oeuvre, qui s’impose, et ainsi la révèle, magnifiquement. Et c’est bien d’ailleurs de révélation qu’il s’agit. Les trois soeurs qui se mettent à jour, dans la lumière de leur obscurité, apparaîssent au monde, au sens biblique du terme. Ainsi, ces trois femmes, l’oeuvre et son écrin ne font plus qu’un. Une triple révélation donc, que grandit celle d’une comédienne hors-pair.

Quant à la direction d’acteur, Matignon montre là une maîtrise absolue. Que de beauté dans ces micro-riens d’un geste, d’une miette. Ainsi de la première partie, où Clara, d’un mouvement infinitésimal, porte à sa bouche de minuscules nourritures, qu’elle rumine obsessionnellement, comme une petite souris dans son trou. Ou à la cuisine, lorsque Jacquotte replie ses pauvres torchons, avec l’assurance et la résignation de celle qui a appris toute sa vie, durement, à le faire. Merveille que cette petite mécanique du jeu… Une direction précise et rigoureuse qui transfigure le presque rien de ces vies transparentes et brisées. Qui leur confère une épaisseur, une vibration inédites. Et que dire de ces lumières, qui font souvent la pâte de Matignon, cet éclairage à minima, sans effet mais pourtant remarquablement efficace et, ici, régi à vue par la comédienne…

Un travail magistral, que l’intelligence du théâtre sous-tend de bout en bout, où l’émotion, que Sophie Vaude sait si bien porter, affleure en permanence. Un cri élégant et rare dans la nuit du théâtre.

Marc Roudier

Comments
One Response to “« LA PEAU DURE » DE J.F. MATIGNON, LE THEÂTRE A L’ETAT PUR”
  1. Ah fichtre que voilà une critique toute en positif , et qui donne à vouloir regarder et déguster cette pièce ! mais par tous les Saints de la Comédia de salle où de rue ,pourquoi souvent y glisser des mots pompeux en mode  » Femmes Savantes  » ….que viens faire ce  » Polysémique  » qui fait râler ma Mémé de bon matin ? sinon bonne continuation !

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