AVIGNON OFF : « MIGRAAAANTS », MARE NOSTRUM A L’EPREUVE DES REFUGIES

LEBRUITDUOFF.COM – 9 juillet 2017.

« MIGRAAAANTS (On est trop nombreux sur ce putain de bateau) » – Texte Matei Visniec – mes Gérard Gelas – Théâtre du Chêne Noir, du 7 au 30 juillet à 17h15 – relâches les 10, 17 et 24.

« MIGRAAAANTS », la Mare Nostrum des anciens à l’épreuve des réfugiés contemporains

Lorsque les spectateurs prennent place sur les confortables fauteuils de velours rouge de la chapelle du XIIème siècle abritant la très belle salle Léo Ferré du Théâtre du Chêne Noir, deux plans s’offrent à leur regard. En fond de plateau, un immense écran sur lequel se projettent les mouvements réguliers d’une mer d’un bleu d’Eden comme l’est le ciel qui la surplombe, échos subliminaux des paysages paradisiaques offerts par les agences de voyage. Au plafond, la charpente en coque de bateau renversée dévoile sa renversante structure… Association prémonitoire de deux réalités en tension : la Méditerranée enchanteresse, la Mare Nostrum, devenant la fosse commune de milliers de migrants en perdition.

Comment peut-on s’imaginer, en contemplant ces vues d’une Méditerranée concentrant sur son seul nom l’histoire de notre civilisation gréco-latine et les rêves d’évasion de notre Occident contemporain, que là se jouent au quotidien des drames humains entraînant la mort de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes étant prêts à risquer leur vie embarquée sur d’improbables esquifs pour tenter tout simplement de survivre ? Pourtant dira-t-on les médias se font régulièrement l’écho de ces drames liquides… surtout il est vrai lorsqu’un événement sensationnel intervient, avec en prime l’image du corps d’un petit Aylan retrouvé rejeté par la Mer Egée. Trop d’informations tuent l’information, et la litanie des réfugiés ensevelis dans les eaux méditerranéennes semble être banalisée, finissant par se diluer dans le flot d’autres informations plus accrocheuses encore et perdant au passage son contenu terrifiant.

Matéi Visniec, Roumain d’origine et exilé en France pour fuir le régime de Ceausescu, journaliste pour RFI, connaît l’urgence des situations limites, sa mémoire est vive et il sait de quoi il parle – et à qui il s’adresse – lorsqu’il propose à Gérard Gelas de monter Migraaaants – On est trop nombreux sur ce putain de bateau, son dernier écrit. Celui-ci spontanément s’empare de la proposition, tant les problématiques posées « font corps » avec l’engagement humaniste porté par le lieu qu’il dirige depuis quelques cinquante ans cette année.

Matéi Visniec pour « faire spectacle » d’une tragédie grandeur nature en évitant le pathos lié à cette situation impensable a conçu son récit comme les pièces d’un puzzle faisant se succéder à un rythme « infernal » différentes situations prises sur le vif. Ainsi, comme les cartons du cinéma muet ou le clavier crépitant d’une machine à écrire des journalistes d’antan, seront annoncés en lettres tapuscrites les sous-titres des chapitres traités. Des personnages emblématiques joués par sept acteurs en quête de vérité (tous convaincants mais un coup de cœur particulier, une fois n’est pas coutume, pour l’acteur fétiche de Gérard Gelas qu’est Damien Rémy) vont incarner les protagonistes du drame en jeu.

Défileront des passeurs et leurs hommes de mains mus par une inextinguible soif de profits, des migrants et migrantes terrorisés ou résignés, un homme et une femme surpris dans leur village des Balkans en voyant « déferler » quelques migrants, un homme à la mallette proposant avec un total cynisme à un jeune Erythréen d’utiliser « le capital physique que lui a donné Dieu » pour financer son voyage et celui des siens en terre promise, un coach d’un homme politique de haut niveau rappelant ce dernier à l’ordre du politiquement correct dans la rédaction de ses discours… mais encore des présentatrices du Salon des Barbelés et des Nouvelles Technologies anti-immigration ou des chanteuses et danseuses voilées.

Forme éclatée pour rendre compte de ces vies brisées de migrants ballottés au gré des dérives des intérêts de passeurs sans scrupules faisant écho au cynisme délibéré d’hommes politiques et autres profiteurs des détresses humaines, Migraaaants – On est trop nombreux sur ce putain de bateau (titre qui dans sa graphie mime le cri d’horreur répété à l’infini) est à prendre comme la traduction artistique distanciée d’un scandale contemporain à épisodes. Une série de saynètes qui font voir et entendre de manière saisissante que « plus belle la vie » serait… sans la tragédie infligée, non par les Dieux mais par les hommes eux-mêmes.

Yves Kafka

Photo Philippe Hanula

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