« UN AIR DE BUKOWSKI », IMMERSION DANS L’UNIVERS TRASH DU GRAND CHARLES
LEBRUITDUOFF.COM – 21 juillet 2017
AVIGNON OFF : Théâtre Les Ateliers d’Amphoux – « Un air de Bukowski, Boire Baiser Ecrire (Expérience anarchique) » d’Oldan, auteur-interprète – du 7 au 29 juillet à 18h
« Un air de Bukowski » à boire sans réserve
Dans son laboratoire artistique situé dans la cave (lieu évoquant « Les Carnets du sous-sol ») des Ateliers d’Amphoux (nom évoquant phonétiquement « Les Contes de la folie ordinaire »), un personnage sorti tout droit d’une photocopieuse 3D ayant dupliqué un avatar contemporain du poète iconoclaste s’affaire derrière une petite table. Il est tout entier absorbé par les notes de ses tapuscrits qu’il parcourt en tous sens. Canettes de bière écrabouillées, bouteille de vin trônant en bonne place, verre rempli d’une abondante mousse, papiers froissés au sol, l’illusion d’entrer de plain-pied dans l’univers de Charles Bukowski est créée bien avant qu’il n’ouvre la bouche. En effet l’acteur, « qui a un auteur dans le corps », vit comme son modèle au travers de l’écriture, et ce ne sont pas ces quelques quidams prenant place autour de lui qui vont le détourner de l’essentiel : la poésie tramant l’existence plus que les excès de boisson ou autres qui s’attachent à une réputation sulfureuse.
Sortant après de longues minutes de sa torpeur (en fond d’écran, captures de l’émission Apostrophe avec Bukowski interrogé par Pivot), prenant à partie les spectateurs groupés autour de sa grande carcasse, il semble réfléchir à voix haute : Comment créer un spectacle sur Bukowski ?… Silence… Le public descend dans une crypte, un corps sous un drap, c’est Bukowski… Non, j’ai jamais fait peur, c’est vous qui me faites peur. (Il marque une suspension, boit). Après il faudrait trouver quelque chose de fort, de fédérateur pour lancer le spectacle. Qu’est-ce que veulent les gens ? Qu’est-ce que vous voulez voir ? Un vieil ivrogne avec une peau fripée ? L’antique machine à écrire de l’écrivain (en fond d’écran, dessin de l’historique JAPY dont les quatre lettres capitales surplombent celles du clavier mythique) ? Vous êtes venus pour la provoc ? C’est ça, vous êtes venus voir un animal de foire !
Je suis indifférent aux matchs de baseball… la télé, nager, skier, la plage, les grandes œuvres, la musique… tout ça m’ennuie profondément… Comment un type peut laisser son esprit s’intéresser à ça… Ma pensée, elle s’accroche à un chien qui erre, à celle d’un violeur, à l’existence des pauvres, aux quartiers pourris. Un vent glacial souffle et je pense aux gens de la rue… Je bois pour supporter votre présence. J’aime pas lire la poésie, mais c’est payé… Je buvais, j’écrivais ; j’écrivais, je buvais. Ecrire c’est ma vie. Le Mississipi coulait, je regardais le néant dans la vitre crasseuse. Parfois je restais dans le noir dans une piaule pendant une semaine. J’étais un jeune-homme vieux de mille ans, maintenant je suis un vieillard vieux de mille ans. Souvent je vais dans des bistrots et comme les gens, j’attends entre le va-et-vient des mouches.
Et une heure durant ce work in progress va défiler, au gré de numéros indiqués par la régie qui lui feront choisir de faire « entendre » tel texte du poète anar plutôt que tel autre. Ce qui compte, c’est que l’écriture réponde à une urgence vitale. Si ça sort pas comme une explosion, c’est la mort pour l’écrivain. (Marquant une pause, il ouvre une bouteille de vin rouge). J’ai arrêté la bière, je faisais des concours : boire le plus de bières tout en restant debout. Quoi d’autre à part la bière ? Le vin… Attention je ne bois pas, je me saoule. Un type qui est sobre, il n’a qu’une seule route. Quand je bois, je deviens quelqu’un d’autre, et c’est lui qui écrit. Mais la bière ça fait pisser (il sort de la pièce, laissant les spectateurs face à une projection vidéo de Bukowski le montrant buvant et fumant devant le clavier de sa légendaire machine à écrire).
Nouveaux poèmes de Bukowski accompagnés de ses confidences personnelles… J’ai constaté que quand je mets du cul dans mes textes, ça se vend bien… Et l’acteur d’en lire un de ces poèmes de cul. Puis viendront des remarques amères sur son existence d’écrivain travaillé par le doute (les gens intelligents sont plein de doutes, les imbéciles sont remplis de certitudes) : J’ai salopé mes mains et ma tête. L’acteur-auteur hurle alors au visage d’un spectateur un cinglant : ça te fait rire ?
Pour conclure ce moment vécu – comme si on y était – avec l’auteur des « Contes de la folie ordinaire », après avoir adressé à sa femme une inattendue déclaration d’amour, il délivre à l’adresse des spectateurs un message vital : Il faut toujours tenter les choses. Vis ta vie. Te laisse pas abattre. Et même si le vin ne résout pas les problèmes… le lait et l’eau non plus ! A la sortie, on trinque ensemble – un capiteux « Vin de merde » (sic, c’est même écrit sur l’étiquette de la bouteille) – et l’on parle, parle encore de la poésie, du poète iconoclaste, de lui, Oldan double frappé de Bukowski, et des autres, de nous…
Comme le préconisait un autre poète maudit, « il est l’heure de s’enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu [point trop…] à votre guise »… Le message est bien passé. On reprendrait bien un verre de Bukoswski ! Oldan son interprète saisissant de vérité, n’a pas attendu – lui – notre avis pour suivre cette prescription, artistique…
Yves Kafka