« ICI IL N’Y A PAS DE POURQUOI », DE QUEL CÔTÉ SOMMES-NOUS ?
LEBRUITDUOFF.COM – 20 juillet 2018
AVIGNON OFF : « Ici il n’y a pas de pourquoi » d’après le texte de Primo Lévi (Si c’est un homme) – Interprète / Mise en scène : Tony Harrisson – Théâtre La Luna – Du 6 au 29 Juillet à 14h25 – Durée 1h05
Deux années d’enfer et de désespoir. Voilà ce que nous offre sur scène le metteur en scène Tony Harrisson, à la fois aux manettes et au plateau, interprétant cette adaptation du roman autobiographique de Primo Lévi. Co-adaptation réussie de Tony Harrison et Cecillia Mazur qui parviennent à extraire du roman ce qu’il a de plus universel dans la faculté noire de certains hommes à en asservir d’autres, en leur refusant même le droit de rester des hommes. Ici pas de pourquoi, mais un constat et la lente descente en enfer de cet homme arrêté puis, interné sans jugement dans ce qui ressemble à un tombeau. Cassant des cailloux pour une bouchée de pain et buvant de l’eau croupie que même un chien ne boirait pas, l’homme est brisé peu à peu, il ne reste rien à par le néant de l’injustice. La seule lueur d’espoir est de tenter d’améliorer sa condition en mettant en avant auprès de ses oppresseurs quelques notions de chimie et de pouvoir travailler ainsi à autre chose qu’à casser des cailloux.
Sur scène le comédien Tony Harrisson, accompagné au Hang par Guitoti, joue avec une belle énergie cet homme cassé physiquement et moralement mais qui parvient, même au fond du trou, à garder cette petite lueur d’espoir et enfin à s’échapper de l’enfer un peu comme il y est rentré, par hasard.
Ici on ne parle pas de Shoah ou de nazis, Tony Harrisson et Cécilia Mazur en adaptant le roman de façon intemporelle questionnent sur ces notions malheureusement universelles que sont l’injustice, l’arbitraire, la déshumanisation. Comment ne pas ressentir ce malaise en pensant au texte initial de Primo Lévi ou aux récits de quelque camp de migrants ici ou là en Europe ? On ne peut comparer les sort des migrants avec ceux des déportés même mais est-on réellement chacun intimement convaincu que l’humain est bel et bien pris en compte dans ces camps où l’on parle plus de chiffres ou de statistiques que de parcours de vie cabossé et unique.
Un beau travail sur le texte du metteur en scène et comédien Tony Harrisson qui, gommant l’historique, est loin d’aplanir le sujet mais l’ouvre plutôt à des notions contemporaines comme les migrations économiques ou liées aux guerres et bientôt sans doute les migrations climatiques. Ce travail nous fait forcément réfléchir à nos propres responsabilités quant aux traitements que l’on réserve à des pans entiers de la population. Et nous ? De quel côté sommes-nous ? Celui des hommes ou celui des monstres ?
Pierre Salles