DRÔLE DE OFF !
lebruitduoff.com – mercredi 28 juillet 2021
AVIGNON OFF 2021 : ON FERME ! LE MOT DE LA FIN.
« Un drôle de Off ! ». Voilà ce que pourrait être le titre d’un spectacle du Off ou du Festival d’Avignon cette année. Après avoir passé un an de disette culturelle, chacun s’attendait à une explosion des saveurs et de la part des créateurs et de la part du public. Force est de constater qu’il n’en a pas été le cas. Pourquoi ? peut-être que les créateurs ont tout naturellement présenté le travail qu’ils avaient monté pour l’édition 2020 et que le public, à la fois échaudé par des dispositifs changeant maintes fois de philosophie et refroidi par une peur légitime de la présence d’une foule au comportement pas toujours exemplaire, eu égard à la crise sanitaire toujours actuelle, n’a pas répondu à l’appel. Car c’est maintenant clair et avéré, beaucoup moins de monde dans les rues et les salles d’Avignon. Alors que certaines grandes salles commencent à sortir leurs « chiffres » à -20% de fréquentation, la réalité sur le terrain semble bien différente, la simple prise de température auprès des intermittents travaillant dans ces salles faisant ressortir une baisse allant jusqu’à 50% en moyenne. Dans les rues, peu d’enthousiasme, des tractages parfois quasi inexistants, des restaurants souvent vides et ne parlons pas des parades qui cette année ressemblaient parfois à un défilé de nonnes allant au marché. Nous n’en sommes pas toujours friands, mais il est à noter que cela permet, quand c’est joliment fait, de mettre une certaine ambiance et une effervescence de bon aloi dans les rues d’Avignon.
Côté lieux, le Bruit du Off revendique son attachement à des salles proposant un théâtre de création, varié et de qualité, dans des conditions parfaites d’accueil des compagnies comme du public. Cette année encore la Manufacture, le Train bleu et le 11 sortent du lot, au travers d’une programmation exigeante : poésie, performance, durée inhabituelle dans le Off, seul en scène ou plateau fourni, en fait une offre impressionnante. On peut néanmoins émettre des doutes sur la prolifération des « hors les murs » qui, s’ils sont légitimes dans le cadre d’une performance sur 1 ou 2 jours, laissent un goût amer pour des spectacles jouant du 7 au 31. Le Transversal, en local de l’étape, relève le défi d’une après-année chaotique, avec une programmation cohérente et convaincante.
Comme chaque année, constatons quelques apparitions de théâtres éphémères et quelques disparitions, comme le Collège de la Salle, enfin voué à d’autres ambitions, et le Petit Louvre, qui pour les uns est en pleine rénovation et pour les autres en phase de changement de propriétaire… Le Théâtre des Halles, sans prendre trop de risques, a su présenter de beaux spectacles et se doter d’un nouveau lieu de verdure propice aux rêves de fin de journée, très belle initiative que d’avoir supprimé ce chapiteau et de nous permettre d’assister à des représentations la tête dans les étoiles. Quelques petits théâtres dans lesquels nous sommes allés étaient là au travers de belles programmations et il faut noter pour certains un bel effort d’accueil du public. Voila 10 ans que nous disons haut et fort que les dates farfelues et aléatoires de début et surtout de fin de Off sont contre-productives*, si bien que même le président d’AF&C prend la décision de fermer son propre théâtre une semaine avant la fin du Off !
Côté municipalité, il semble une fois encore et avec la même obstination que la mairie veuille inciter de plus en plus les festivaliers à se garer très loin du centre et des salles de spectacles. On pourrait comprendre et admettre cette politique mais pourquoi tant de schizophrénie ? Pourquoi par exemple supprimer certaines navettes qui allaient jusqu’à la place Pie et qui maintenant s’arrêtent aux portes des remparts ? Pourquoi supprimer le parking de la FabricA et demander aux festivaliers d’aller se garer sur un parking privé de grande surface ? Soit, on peut effectivement prendre les transports en commun mais alors quid des personnes qui travaillent et qui souhaitent aller tout de même voir des spectacles ? Le Festival, si prompt à promouvoir un festival de proximité, serait-il écrasé par les décisions ubuesques de la mairie, et en passe de devenir un pur festival de touristes en congés ?
A la rédaction, nous aussi avons été touchés par la crise Covid avec quelques chroniqueurs absents pour cause d’incompatibilité de « certification sanitaire », mais nous avons néanmoins continué de sélectionner au mieux les spectacles que nous pensions devoir découvrir. Il est évident que nous sommes passés à côté de certains bons plans, comme chaque année, et que d’autres, pourtant prometteurs, nous ont déçus ! En revanche, nous avons fait comme d’habitude notre job de défricheurs -d’ailleurs très suivi des programmateurs eux-mêmes- en proposant de véritables bons spectacles à voir, parmi les meilleurs du Off, à travers notre sélection initiale des 50 « indispensables », puis tout au long du festival avec nos chroniques construites, critiques, équilibrées, toujours au plus près de nos ressentis, avec évidemment une subjectivité assumée, comme il se doit. Ceux qui s’activent sur les réseaux dits « sociaux » et prétendent le contraire sont soit aveugles soit d’une mauvaise foi caractérisée. Nous n’avons évidemment pas tout vu -et comment serait-ce possible ?- et d’ailleurs, telle n’est pas et n’a jamais été notre ligne de conduite, mais pour ceux d’entre eux que nous n’avons hélas pu voir cette année, nous ne manquerons pas d’aller les découvrir dès septembre partout en France : le BDO, comme vous le savez, est dorénavant présent toute l’année avec son « BDO TRIBUNE » sur l’ensemble du territoire et au-delà -puisque nous couvrons également la Wallonie et la Suisse romande.
Enfin, cette année nous avions délibérément décidé de faire l’impasse sur les interviews, billets et autres dispositifs hors critique théâtrale, afin de nous recentrer sur la critique et chroniquer ainsi un nombre confortable de spectacles, malgré les impératifs de la crise sanitaire et les contraintes que nous avons nous aussi subies. Nous espérons de tout coeur que l’année prochaine sera enfin une année « normale » et que les conditions nous permettront de vous faire partager ce(s) festival(s) sous la multiplicité des approches de nos chroniqueurs, chacune singulière, et surtout continuer de soutenir les spectacles auxquels nous croyons. Le bruit du Off, novateur en ce domaine, a souvent été plagié mais notre imagination est sans limite…
Le Off est mort, vive le Off ! Nous vous retrouverons l’année prochaine avec toujours la même envie, la même indépendance, les mêmes rêves et la même exigence.
Pierre Salles
* Cela fait des années -depuis la présidence de Greg Germain, qui a instauré cette détestable « politique »- que nous ne cessons de combattre cette imbécilité absolue qui consiste à octroyer une semaine de plus au OFF après la clôture du IN. On sait pourquoi, c’est pour pouvoir justifier les tarifs exorbitants des purs loueurs de créneaux, qui ainsi bénéficient de cette semaine de rab, au grand bonheur de leur service comptabilité… On le dit et le répète : compagnies, arrêtez de tomber dans le panneau des loueurs de salles et jouer leur jeu délétère, improductif et fort coûteux pour vous : un OFF se doit de coller au IN, c’est toujours le cas partout dans le monde. A Avignon, dès que le IN clôture, la presse nationale, comme les « grands » programmateurs et diffuseurs désertent la ville. Ne restent que quelques badauds venus s’encanailler dans le OFF, la plupart courant dans les mauvaises salles de la rue de la République et ses adjacentes. Compagnies, artistes, les bonnes dates de location de créneaux, c’est du début du IN à sa clôture, point barre. Au-delà, c’est perte financière et invisibilité assurées… A bons entendeurs…
Image : « Bataille » de Pierre Grosbois – Photo DR