AVIGNON 2023 : UN MILLESIME PLUTÔT REUSSI

Lebruitduoff.com – 29 juillet 2023
Et voilà, c’est fini ! On ferme ! C’est un soulagement, même si c’est toujours triste de quitter cette ambiance unique au monde que sont les festivals d’Avignon, IN et OFF. Et retrouver cette belle endormie qu’est Avignon le reste de l’année, pauvre ville éolienne désertée de tous, hormis des troupeaux de touristes…
Une fois encore, ce billet pour vous faire partager nos sentiments sur cette édition du Festival d’Avignon et de ce Off 2023. Une année particulière puisque témoin d’un renouvellement, à la tête du Festival comme à celle d’AF&C.
Pour le Festival d’Avignon, succédant à Olivier Py, Tiago Rodrigues s’en sort plutôt pas mal. Une occupation en hausse des salles, quelques pourcentages certes, mais cela fait toujours plaisir même si ce n’est pas très représentatif pour une première édition, une programmation de belle tenue avec, globalement, de bons moments de théâtre, même si nous aurions aimé plus d’audace et d’innovation, un directeur investi que l’on a pu voir à nombre de représentations, dont celles en itinérance dans de petits villages autour d’Avignon, une volonté assumée d’amener un nouveau public vers le théâtre, une organisation sans faille et enfin un directeur qui a démontré la finesse de ses analyses lors des points presse et son charisme sur scène. Et un bon point, la réouverture enfin de la Carrière de Boulbon, avec le superbe « Jardin des délices » de Philippe Quesne. Réouverture qui sera pérennisée les prochaines éditions, aux dires de Tiago Rodrigues.
Au niveau programmation, changement de cap, le nouveau directeur a su renouveler le genre. Sans toutefois révolutionner le Festival d’Avignon – ce n’est pas un révolutionnaire-, Tiago Rodrigues a insufflé un air nouveau, par petites touches, avec des propositions qui, sans être radicales, ont su tout juste bousculer les spectateurs et les sortir de leur zone respective de confort. On a pu découvrir d’excellentes choses, entre la performance, le théâtre et la danse mais aussi quelques loupés ou quelques déceptions – quoi de plus normal pour le spectacle vivant- comme ces deux erreurs de casting que sont la programmation dans la Cour surdimensionnée pour eux de ces deux ratés que sont « Welfare » et « The Romeo »…
Nul doute que cette première édition pour Tiago Rodrigues laisse présager (en tout cas on le souhaite) le meilleur pour la suite. Il ne reste qu’à espérer que lui-même ne se laissera pas enfermer dans son modèle de prédilection et tentera aussi de nouvelles choses et sur scène et dans sa programmation. En tout cas bien meilleure que celle d’Olivier Py, même si pas au niveau de celle d’Hortence et Vincent qui avaient su ouvrir le Festival à l’international, chose que Py avait aussitôt défaite dès qu’il est entré en fonction en 2014 pour la replier sur le théâtre, et uniquement ou quasi le théâtre, franco-français de surcroît, avec quelques immersions dans « l’étranger » en guise d’alibi…
On nous annonce depuis des années un rapprochement du Festival et du Off (rappelons que ce rapprochement a déjà existé …). Il semble que, pour une fois, le nouveau Directeur du IN veuille réellement la mettre en œuvre dès l’année prochaine -de toutes façons un peu forcé par cette idiotie de JO dont on se fiche grave, qui bouleverse les dates des festivals culturels, quand il ne les oblige pas à déprogrammer. Reste à voir si les deux inénarrables nouveaux « patrons » en bois du Off sauront prendre la balle au vol en toute intelligence et sans petits calculs… Ce dont on doute sérieusement, connaissant leurs us et coutumes… En résumé, et pour en terminer avec ce IN 2023, le 77e du nom, pari tenu par Tiago Rodrigues pour cette belle édition !
En ce qui concerne le Off et comme souvent, tout repose sur les salles, qu’elles soient éphémères, comme nombre d’entre elles, ou permanentes. Bien entendu, un âne ne devient pas un cheval du jour au lendemain et beaucoup d’autoproclamés « théâtres », dirigés par des gens s’improvisant directeurs artistiques -ou assumant même parfois leur incompétence-, ne proposent rien de sérieux si ce n’est du tout-venant théâtral, du prêt à porter de mauvais goût tel que celui que l’on peut voir toute l’année dans nombre de salles parisiennes et en tournée dans pas mal de lieux en régions. Rien de nouveau ici, toujours la même médiocrité et cette constance dans les propositions plus putassières les unes que les autres. « Mais qu’allaient-ils faire dans cette galère ? » pourrait devenir l’emblème de ces troupes embourbées dans ces bouges…
Aucune comparaison donc entre ces soi-disant « théâtres » et quelques-uns proposant une réelle vision, un cap, et qui, tout au long de l’année sont à la recherche de l’excellence ou du renouveau pour donner à voir d’excellentes propositions. Bien sûr et comme chaque année, les lieux les plus connus s’en sortent haut la main. Avec une programmation à la fois exigeante et accessible, le Théâtre des Halles a, cette année, offert au public avignonnais un festival franchement réussi, il semble que la seule ombre au tableau soit ce qui a déçu cruellement les spectateurs des spectacles se déroulant à la chapelle. Mais ne soyons pas tatillons, le reste était de très belle tenue, avec les propriétaires des lieux qui semblaient être sur place 24h sur 24. Disponibles pour discuter avec les spectateurs et curieux des retours, Alexandra et Alain Timar ont su apporter quelque chose de frais dans leur sélection, avec quelques valeurs sûres associées à des propositions plus nouvelles. Une vraie réussite pour le Théâtre des Halles.
Comme l’année dernière, le 11 a tenu ses promesses avec aussi quelques très belles propositions, la perte de leur ancienne et ultra efficace attachée de presse (partie faire le job pour AF&C, bon courage !) étant le seul point noir, le reste était quasi parfait. La Manufacture et le Train bleu, semblaient eux cette année en légère perte de forme. Quelques beaux morceaux mais un ensemble semblant manquer de cohérence et de constance dans la qualité. Il y a des années sans… La Factory et son directeur, Laurent Rochut, s’imposent comme incontournables dans le paysage avignonnais -d’ici que ce dernier devienne patron d’AF&C ? Allez savoir… Avec un cap et cette volonté acharnée de vouloir proposer un autre chemin, Laetitia Mazonnelli s’en sort brillamment avec son Transversal, et il est évident que l’exigence de sa programmation et l’honnêteté intellectuelle de cette jeune directrice donnent maintenant les fruits d’une réussite méritée, tant au niveau de la presse que des spectateurs qui ont bien repéré désormais ce théâtre permanent, dorénavant labellisé « Scène d’Avignon », à l’instar des Carmes ou des Halles. Quant aux Doms, en petite forme l’année dernière par rapport à des programmations très réussies les années précédentes, ils n’ont pas su convaincre cette saison non plus, quelques spectacles intéressants mais un niveau globalement toujours en baisse. La Scala a donné quelques trucs consommables, à la Parisienne, reproduisant ce qu’elle propose dans la capitale le reste de l’année, mais, jauge oblige, elle est tenue à de grosses productions qui, ils l’espèrent, pourront remplir cette machine surdimensionnée (la plus grande jauge du Off). Une petite déception donc pour ce lieu qui n’arrive pas encore à oser, prendre quelques risques et permettre au milieu d’une programmation convenue, très théâtre privé, quelques espoirs de pépites, novatrices, sortant des sentiers battus. Passons évidemment sur les Roi René, Théâtre Actuel et autres Chien qui Fume ou Luna, sans aucun intérêt, (et sans évoquer les salles indécentes, véritables plaies du Off que sont les Rouge-gorge, Paris, Laurette…) mais aussi tant d’autres lieux complétement inintéressants, véritables succursales du théâtre privé « moliérisable », qui ne savent rien offrir de satisfaisant, si ce n’est un peu de fraîcheur électrifiée, dans le meilleur des cas…
Comme chaque année le Bruit du Off a arpenté les salles d’Avignon en toute subjectivité -n’en déplaise aux grincheux qui se gargarisent de prétendue « objectivité critique », qui n’existe que dans leurs manuels scolaires : la critique c’est forcément engagé et subjectif-, 160 spectacles vus tout de même pour une grosse centaine de chroniqués. Contrairement à bon nombre de médias en ligne ou papier, quand nous n’aimons pas nous assumons. Les spectateurs seraient d’ailleurs étonnés des discussions (qu’on ne répercutera pas, pudeur oblige) après représentation avec tel ou tel critique (parfois d’un grand média), qui démonte un spectacle en aparté, et qui le lendemain sort un papier élogieux… Copinage ? peur de son supérieur hiérarchique ou du courroux d’un artiste jugé « important » dans le microcosme parisien ? auto-censure ? la question se pose… Ici au BDO, vous le savez, rien de tel, le maître mot est cette volonté farouche de fournir un éclairage singulier sur les spectacles proposés sans filtre et surtout sans arrière-pensées. Nous assistons aux spectacles, nous discutons avec les comédiens et les metteurs en scène quand ceux-ci n’ont pas sombré dans la « melonite » après une ou deux « réussites » en tout cas médiatiques (ce qui en soi ne veut pas dire grand chose, chacun en conviendra, surtout quand le média qui les encense est plus que sujet à controverse…), la « melonite », donc, maladie très courante qui n’a rien à voir avec la post-fasciste présidente du Conseil italien, mais qui chez les jeunes metteurs en scène du Festival et/ou du Off fait des ravages, et dont le symptôme principal est cette hypertrophie démesurée et soudaine de la tête, un truc qui se résorbe très vite après quelques échecs cuisants …
Comme chaque année, quelques déceptions ne gomment en rien le plaisir de voir de très beaux objets scéniques ni celui de rencontrer de véritables passionné(e)s tant chez les créateurs et comédiens que chez les spectateurs. Les correspondants du Bruit du Off ont passé dans l’ensemble de très jolis moments, les yeux brillants de curiosité et de bonheur dans les salles obscures des théâtres avignonnais. Pour résumer, 2023 est un plutôt bon millésime, pour le IN comme pour le OFF !
A l’année prochaine donc, chers fidèles lecteurs et lectrices… D’ici là, passez un bel été. On vous embrasse.
La Rédaction
Photo : Spectacle « Que ma joie demeure » de Clara Hédouin, en déambulation au Festival In 2023 – Photo C. Raynaud de Lage
































