FOCUS : LES HIVERNALES, CENTRE CHOREGRAPHIQUE D’AVIGNON
LEBRUITDUOFF.COM / 18 juillet 2013
AVIGNON 2013 : Focus sur le CDC Les Hivernales
Voilà un nom bien étrange pour un lieu à part ! La structure « Les Hivernales » programme sous 40° à l’ombre uniquement de la danse, au beau milieu de la capitale du théâtre…
Centre de Développement Chorégraphique, « Les Hivernales » existe depuis 1979 sur Avignon. Créé par Amélie Grand, aujourd’hui dirigé par Emmanuel Serafini, le lieu est depuis dédié à la recherche chorégraphique, selon un cahier des charges très précis dicté par le ministère de la culture. A l’origine festival d’une semaine, il est maintenant un lieu inscrit à l’année, qui développe notamment toute une série d’actions tournées vers le jeune public.
10h : Éric Lamoureux et Thierry Thieû Niang, Une Douce imprudence
Une dizaine de tapis seront étalés, roulés, sculptés, transformés en robe, chrysalide, sac à patate… Comme un long workshop autour du tissu. Outre le peu d’intérêt du projet, les corps qu’on attendrait exaltés sont un peu rabougris. L’ennui gagne et les pas de danse se font trop rares pour que l’on puisse se passionner pour ce spectacle drapé de morosité.
Pour Avignon, il s’agit d’un très beau plateau, bien équipé techniquement. Tout est un peu usé, un peu brut, un aspect « sortie d’usine » qui sied bien à l’esthétique des spectacles présentés. Dommage que le hall, situé à l’étage, ne soit accessible qu’au dernier moment. Au lieu d’attendre sur le trottoir sous la chaleur, on préférerait être dans les canapés à regarder la belle exposition de photos du projet Déclenche !, initié par Thomas Bohl.
11h30 : Aurélien Kairo, N, l’étoile dansante
Le spectacle commence par les trois coups et la vidéo d’un rideau rouge qui s’ouvre. On sera sous le signe du théâtral, du grotesque assumé. La Cie De Fakto a décidé de raconter en danse la vie et l’influence de l’œuvre de Nietzsche. Pari difficile mais pari tenu puisqu’en sortant, on a qu’une envie : se plonger ou se replonger dans les textes du philosophe allemand mort en 1900 et qui aura bouleversé la conception du monde de plusieurs générations de penseurs. Kairo s’intéresse surtout à la fin de la vie de Nietzsche, quand il est dans un asile et qu’il joue (peut-être) au dément. « Danser, c’est avoir plusieurs âmes dans un seul corps » disait le philosophe. Le danseur nous montre aussi plusieurs danses dans une seule âme.
Comme dans beaucoup d’établissements scolaires, la cafet’ propose toujours des grignotages pas cher. Le Collège de la Salle (dont on ne dira rien ici sur sa programmation -il vaut mieux-), à deux pas des Hivernales, propose des formules à 5€ avec Pan bagnat (pas dégeu et bien consistant), un canette et un café. Une concurrence à toute épreuve aux cafés et boulangeries du coin qui se gavent en augmentant d’au moins 30% les prix… Et en plus la vendeuse est sympa.
13h30 : Mourad Bouhlali et Hassan Razak, My God !
La compagnie Onstap (spécialisée dans les percussions corporelles) présente ici sa dernière création autour de la figure du divin et plus largement de la croyance, de la foi. La scène s’ouvre sur deux ombres dégingandées à perruques blondes. La ressemblance de morphologie et la synchronisation du mouvement rend ce premier moment à la fois drôle (les perruques blondes et les jambes qui s’en finissent plus), troublant et même touchant. Les deux danseurs-penseurs, à force d’aphorismes et de réflexions (notamment autour de la figue de Dieu, d’où le titre) réussissent à allier mouvement du corps et mouvement de la pensée, dans un spectacle qui inspecte toutes les formes de rencontres, du duo au duel. Même si, des deux volatiles, Hassan Razak maîtrise bien mieux son corps, notamment dans les épaules beaucoup plus souples et libres, ce spectacle donne à sourire et à penser. Une réussite donc.
15h30 : Bouziane Bouteldja et Caroline Lamaison, Altérité
Quand il s’agit de faire des focus sur les lieux, l’avantage est que l’on va voir des spectacles sans aucun préjugé puisque l’on ne connaît rien de la pièce, en l’occurrence, pas même le titre. Sur mes notes de spectacle, j’ai écrit en gros « chacun ses problèmes, chacun son altérité ». Il est extrêmement rare que le projet de base -ce que les artistes ont couché sur le papier- colle à ce point avec ce que l’on voit sur scène.
Non seulement il y a réelle élégance du mouvement mais en plus tout est signifiant sans être explicatif. Certains pourront trouver qu’il s’agit de mièvrerie, mais l’on a plus envie de parler de sincérité, de retrouvailles avec le vécu, sublimées par l’écriture du mouvement. Le spectacle est à la fois clair et mystérieux, simple et drôlement bien construit.
Chaque danseur se pose en mouvement sur ce que lui renvoie l’autre : rapport féminité/virilité, force/souplesse, traumatisme/reconstruction etc. L’autre est toujours une verrue dans le paysage, mais cet appendice disgracieux rend essentiel notre condition au monde.
Un spectacle à découvrir, deux chorégraphes qui savent jongler à la perfection entre danse contemporaine et hip-hop. Attention, Coup de coeur.
17h : Anne LeBatard et Jean-Antoine Bigot, Trajets de Ville
Exercice basique d’un atelier théâtre débutant : occupation de l’espace puis, à un moment donné, on se rencontre.
Spectacle : occupation de l’espace puis, à un moment donné on se rencontre.
Entre le déjà vu mille fois et le sur-interprété, rien de bien intéressant dans ce spectacle. On voit bien qu’ils ont passé beaucoup de temps à apprendre comment se jeter sur du béton, mais certains saignent. On a mal pour eux, mais on a surtout mal pour nous, d’autant plus que le spectacle est en extérieur et qu’il a fait bien chaud ce jour-là.
18h30 : Mylène Benoit, Le renard ne s’apprivoise pas.
Une grande ligne au sol, comme une piste atterrissage pour danseuse aérienne. Plus le spectacle avance, moins le propos est clair. On se perd très vite dans ce qu’a voulu dire la chorégraphe. Un spectacle hyper réflexif dont le corps est presque aussi accessoire que le costume fluorescent dans le noir. La scénographie, comme les costumes, comme les vidéos sont assez laides. Dommage pour de la danse, dommage pour la pensée, dommage pour l’esthétique.
20h : Olga Cobos et Peter Mika, Hidden / Choice
la Cobosmika company présente un programme composé de deux pièces : un quintet très esthétique et joliment chorégraphié par Russell Maliphant, et une pièce plus intime créée et interprétée par Olga Cobos et Peter Mika. Toute en harmonie, la danse, bien qu’un peu datée, est belle et consensuelle.
La programmation d’Emmanuel Serafini, le directeur artistique des Hivernales, est très bien faite. Elle parcours beaucoup de mouvements très différents de la danse contemporaine, tout gardant une certaine unicité. L’ordre des spectacles tombe aussi très bien. Le spectacle du matin est parfait à voir en matinée, ceux entre midi et deux s’avalent comme des sandwichs, et le dernier spectacle est idéal pour clore la journée.
22h : Clément Thirion et Gwen Berrou, [weltanschauung]
Deux belges dansent en boots à poils sur de la pop allemande pour sauver le monde. Rien de plus normal dans ce spectacle so belge et complètement dément. Un ange Cojo passe et entre temps, on se fout à poil tout en réfléchissant au statut de l’esthétique chez cro-magnon. Trop mignon et très bien pensé, ce spectacle en forme d’arnaque est réjouissant parce que complètement décalé mais pas que. Pas si bête, la bête Thirion. Une belle proposition sur le statut de l’homme, son évolution et ses capacités d’adaptation rapport au cataclysme prochain. Les deux interprètes sont très bons comédiens et les moments de danse, bien que réduits, très drôles et bien exécutés. Un spectacle bien poli (mais qui nous fait doucement croire qu’il est brut).
Et en plus on peut grignoter des pépitos offerts pendant le spectacle !
Bruno Paternot
Visuel : Bouziane Bouteldja et Caroline Lamaison, Altérité / Photo DR
C’est beau de vous voir enthousiastes parfois. FD
Envoyé de mon iPhone
Merci. Il faut dire que Les Hivernales (comme quelques rares lieux du Off) n’ont pas peur de programmer des artistes engagés, au risque de se viander complétement. Heureusement, il y a aussi de très belles réussites. Vive les lieux couillus.