68e FESTIVAL D’AVIGNON : LE PRINCE DE HOMBOURG ENFIN DANS LA COUR

hombourg

68e FESTIVAL D’AVIGNON : Le Prince de Hombourg /d’après Kleist / Georgio Barberio Corsetti / Cour d’honneur / du 5 au 13 juillet 22h.

Jacques Lacan, pour caractériser ce qui se livre des contenus psychiques inavouables ou inconciliables et qui font retour sous forme de fulgurances transposées dans les rêves ou autres projections actées, invente cette belle formule : « Ça parle là où Ça souffre ». Eh bien hier au soir, quelques soixante années après la mise en scène mythique de Jean Vilar avec Gérard Philipe dans le rôle-titre, Giorgo Barberio Corsetti nous a livré une remarquable interprétation d’un rêveur éveillé, en la personne de ce prince incarné par Xavier Gallais qui, pour avoir rêvé la vie, va trouver la mort.

Mais avant que le drame séculaire ne se joue devant nos yeux, nous spectateurs qui sommes venus ce soir en habits de fête pour voir (en toute tranquillité) venir s’appliquer la rude loi des hommes, nous assistons, le souffle retenu, à un autre texte issu lui de notre contemporanéité. Alignés sur toute la longueur du plateau, les acteurs et techniciens, la poitrine marquée par le petit carré rouge, désormais symbolique de la révolte face à un ordre économico-politique qui tend à les réduire au silence, vont faire entendre, nonobstant le diktat de considérations néo-libérales dominantes, leur impérieux désir de faire vivre la culture. Et ces cris articulés avec force vont vibrer comme les paroles d’un chœur antique qui commente l’action à venir. Oh combien plus saisissante est cette interprétation de la juste lutte qu’ils mènent contre l’obscurantisme libéral que le silence d’une non-représentation. Des applaudissements nourris (et quelques sifflements égarés) témoignent de l’impact de cette parole surgie « de là où Ça souffre » et qui nous immerge dans une intranquillité féconde.

Ils sont là, nus, éclatant de pureté virginale dans l’aube naissante d’une humanité dévastée par la folie meurtrière des appétits militaires, et l’entourent, lui, le Prince vainqueur, nu lui aussi, ceint de sa couronne de laurier. Ils vont s’en saisir, comme au ralenti, non pour une mise au tombeau (quoique… n’y aurait-il pas là quelque chose de prémonitoire qui « ferait signe ») mais pour le glisser dans ses nouveaux habits. Semi-inconscient, semi-conscient, le héros malgré lui semble flotter dans les limbes de contrées où la trace bien réelle d’un gant féminin vient recouvrir les traumas d’une bataille menée à son corps pourfendant la loi militaire. Ne s’est-il pas affranchi de l’ordre donné par sa hiérarchie pour prendre l’initiative de la charge de l’ennemi, quand bien même cette désobéissance se serait-elle soldée par la victoire ? Quand la pression liée à des injonctions « impensables » est à l’œuvre, seul l’amour rêvé de la belle cousine représentée métonymiquement par ce gant abandonné peut servir d’onguent lénifiant.

Vont se succéder alors, ayant statut de pièces arrachées au rêve éveillé, la saga de la bataille livrée. Succession de projections oniriques qui animent la façade minérale du palais mythique où apparaissent successivement la crinière décuplée du cheval majestueux du Prince lancé au galop dans une course échevelée où il semble littéralement surfer sur la vague de l’enthousiasme militaire qui le transporte dans les nuées d’une jouissance sans limite, et les visages distordus (pas loin de ceux d’Edvard Munch) des dignitaires de la cour martiale qui vont le condamner à la plus haute peine pour avoir osé s’être affranchi des ordres donnés. On ne badine pas impunément avec la loi du Père, fût-ce en l’occurrence celle de l’Oncle, le Grand Electeur.

La sentence étant tombée comme le couperet de sa mort annoncée, le rend tour à tour circonspect (comment son oncle, dont il aime la fille et qui l’apprécie, ne pourrait-il pas faire valoir ses sentiments à son égard en le graciant ?) puis le laisse perdu comme un enfant face à la menace terrifiante de cette tombe que l’on creuse pour recevoir son corps. Les pelletées de terre projetées hors du trou destiné à l’ensevelir dessinent en lettres capitales (comme la peine qui l’attend) ces mots ; « Rien Que Vivre », dérisoire vœu subliminal de celui qui voit le monde se déliter sous ses pas.

Dès lors, abdiquant toute fierté, il dira son désir de vivre, coûte que coûte, renonçant à son honneur, à son amour pour sa belle cousine, pourvu que vie lui soit accordée par la grâce du souverain. Mais, alors que chacun aura pris parti en sa faveur, le Grand Electeur lui-même étant prêt à le gracier si lui, le Prince, considère la sentence injuste, soumis à une instance surmoïque délirante, il renoncera à ce qui lui tenait le plus à cœur.

Le final, grandiose, renvoie à un petit livret intitulé « Sur le théâtre de marionnettes » du même Heinrich Von Kleist : tiré par des filins, eux-mêmes manœuvrés par les instances militaires, le corps désarticulé du Prince devient le lieu de tous les conflits psychiques qui menacent l’unité du sujet écartelé entre Eros et Thanatos.
Un Prince des plus percutants qui au travers de la poésie de Kleist, langue qui ouvre à tous les possibles, et de la mise en scène onirique de Corsetti, nous immerge dans le maelstrom de nos désirs conflictuels et donne à voir de manière saisissante la fragilité instable inhérente à notre état d’humain.

Yves Kafka

article publié sur http://www.inferno-magazine.com

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