FESTIVAL D’AVIGNON : FALSTAFE, A MOITIE CONVAINCANT…
FALSTAFE / texte Valère Novarina / mes Lazare Herson-Macarel / Chapelle des Pénitents Blancs / 15h.
Sur le plateau, avant que cela ne s’agite de toutes parts, un caddy rempli jusqu’à la gueule d’objets hétéroclites dont certains empruntés à des batteries de cuisine, une barrière de celles qui fleurissent dans notre mobilier urbain pour signifier quelque chantier en cours, et un immense container plastique, monté sur roulettes, destiné à recevoir les déchets que nous produisons quotidiennement… et d’où apparaîtra celui qui incarne le rôle-titre ! Le décor, planté ainsi d’emblée, on se doute que pareil environnement va produire son lot d’événements clownesques plus proches de la franche rigolade que de la tragi-comédie shakespearienne.
Le sujet est connu : un vieux roi a quelque souci à se faire en voyant sa progéniture, destinée à lui succéder sur le trône, s’acoquiner avec le pochetron de Falstafe tout entier occupé à fanfaronner et à s’enivrer ; une sorte de héros picaresque à qui manquerait cependant la plus petite once de bravoure tant il se révèle pleutre devant le moindre danger. Et, le double du Prince Henri (Henri Percy, joué par le même acteur non sans un certain bonheur) aussi noble et fougueux que l’autre peut être inconséquent et couard, est prêt à en découdre pour prendre le pouvoir. Les dés sont jetés : qui triomphera, du peureux sans qualité ou du vaillant fougueux ?
S’ensuit une série de situations à haute tonalité burlesque qui témoignent (dans un premier temps) de l’irrésistible ascension de la fantaisie ravageuse de Falstafe, personnage aux confins de la folie jubilatoire rendant le monde, dégagé du diktat de la raison raisonnante, sinon enviable, du moins vivable. Clown Auguste plus qu’auguste guerrier, il déclenche les rires en chaîne. Et c’est peut-être là que le bât blesse… En effet, ce faisant, la superficialité qu’il expose nous éloigne de ce qui pourrait nous émouvoir dans la candide posture qu’est la sienne.
Si Gargantua, Don Quichotte et Ubu nous touchent c’est que leur disproportion à être au monde, leur « démence », résonne en nous comme les signes d’un trop humain qui crée un sentiment d’inquiétante étrangeté ; quelque chose qui, bien que grossi, est en nous, et que nous « reconnaissons ». La charge symbolique qu’est la leur tient à cette particularité, et c’est en cela que nous pouvons nous projeter en eux. Or, rien de semblable chez ce Falstafe qui est tout sauf cela. Ce qui domine dans la représentation qui nous est livrée ici, c’est la superficialité de l’enveloppe, comme s’il n’était qu’une énorme baudruche gonflée à l’hélium et peu à même de nous émouvoir s’il venait à « crever ». Aussi, dans la deuxième partie de la pièce, quand il sera mis sur la touche par son ex-acolyte de débauche, le Prince Henri triomphant malgré ses tares, on a beaucoup de mal à s’apitoyer sur son sort.
On nous dira que le public visé est un jeune public… et alors ? N’est-il pas, ce public, tout autant que les adultes, susceptible d’entendre les résonances profondes de ce qui se joue dans l’affrontement des Hommes ? Le roman d’apprentissage ne peut exister que si le rite d’initiation ne s’affranchit pas des données humaines : l’extrême simplification du personnage de Falstafe n’est pas de nature à susciter ce type d’identification. Plutôt que d’en faire un clown, il aurait fallu en assumer son entière « folie ».
Ceci dit, et malgré ces réserves, la belle énergie dont font preuve les acteurs et actrices, participe grandement au tourbillon qui balaie en tous sens le plateau et qui « décoiffe » avec un plaisir manifeste qu’on ne viendra aucunement contester. Une manière de recréer la fête en renouant avec les préceptes du théâtre élisabéthain.
Yves Kafka
Article publié sur INFERNO-magazine.com