AVIGNON OFF / FOCUS SUR LA CASERNE DES POMPIERS
LE BRUIT DU OFF / 10 juillet
Caserne des Pompiers jusqu’au 23 Juillet, relâche les 11 et 18 Juillet
Lieu de la Région Champagne-Ardenne depuis des années, La Caserne des Pompiers offre à ses compagnies invitées des conditions idéales de diffusion de leurs spectacles dans la grande foire aux bestiaux qu’est le Off d’Avignon (voir à ce sujet notre entrevue avec Bruno Desert, chargé de mission pour l’Office Régional Culturel de Champagne-Ardenne). Cette année, six spectacles ont été sélectionnés pour 14 représentations.
11h : Couac, Cie Succursale 101 – spectacle pour très jeune public
Au centre du plateau naît un être étrange, un vilain petit quelque-chose qui passera la demi-heure du spectacle à trouver ce qu’il n’est pas : un canard, un aigle, un flamand… Le spectacle fonctionne pour tous les enfants entre deux et sept ans. Couac étant une proposition très douce, même de plus jeunes peuvent tenter l’expérience s’ils sont sages et que les parents sont prêts à les faire sortir en cas d’angoisse.
Quant au plus grands, les huit/douze, ils peuvent aussi venir, ils vont aimer voire adorer mais ne l’avoueront jamais (il faut bien dire que le spectacle ne leur est pas vraiment destiné). Alternant images vidéos, dessins, théâtre d’ombres et chorégraphies, la metteuse en scène Angélique Friant réussit à créer des transitions délicates entre les différentes formes visuelles qui se marient merveilleusement. On peut saluer le travail de Stéphane Bordonaro qui créé les vidéos mais surtout des lumières fluides et fines, à la hauteur de l’exigence artistique de ce spectacle.
Si la comédienne n’a pas la maîtrise corporelle nécessaire pour faire de ce spectacle un chef d’œuvre, l’intelligence de la proposition s’allie avec la perfection esthétique pour en faire très certainement le spectacle le plus abouti pour le très jeune public qu’on puisse voir à Avignon. Un signe qui ne trompe pas : à la fin du spectacle le public n’applaudit pas tout de suite, il veut profiter quelques instants encore de la rêverie que viendra briser des applaudissements nourris et sincères. A voir de toute urgence.
12H:Noli me Tangere – 1ère Nouvelle, Cie Les décisifs – Danse
Clara Cornil, conceptrice et danseuse du spectacle est une interprète exigeante. A travers une danse tribale ascétique, elle propose un travail très fort autour du passage de l’énergie, de l’interne à l’externe et comment le corps garde ou transmet cette énergie dans l’espace.
Si la danse ne s’écrit pas sur l’intégralité du plateau mais dans un espace très réduit, le geste est porté, avec radicalité de la pointe des pieds à la pointe des cheveux, mais surtout dans une puissante proposition autour du haut du corps, à travers ses bras qui n’en finissent pas.
Créé après un accouchement, le ventre est bien sur l’élément de force, point de force de toute la construction chorégraphique.
Si la radicalité de l’écriture se mêle à un engagement corporel sans faille, il est dommage que la lumière ou le costume ne portent pas ce même extrême. La musique en devient presque intempestive et trop présente. On attend avec impatience les autres parties du concept.
13h30: Play House, Comédie de Reims – Théâtre
Le texte inédit de Martin Crimp s’acharne à montrer comment, malgré tout ce qui chamboule un quotidien (le sexe, une promotion, une rencontre), deux personnages obsédés par la propreté physique et morale (se laver les dents, nettoyer le frigo, ne jamais mentir) se renferment dans un monde « Ikéa » tout en faux semblant et certitudes. Dans Play House comme dans une majorité de ses pièces, Martin Crimp tente de réunir à lui tout seul la totalité du théâtre anglophone.
De la perversion d’Albee à la violence latente de Bond en passant par le réalisme tronqué d’un Horovitz, Crimp mixe le tout sans jamais arriver aussi haut que ses congénères, surtout dans le sous-texte à la Pinter. La mise en scène de Rémy Barché, elle aussi, ne choisit pas vraiment vers où s’engager. De l’introspection à un jeu volontairement outré, tout cela manque d’une intime sincérité qui viendrait rajouter des couches de complexité à ce spectacle un peu trop simple, en apparence comme en profondeur.
15h: Oblomov, Cies STT et O’Brother – Théâtre
Si nous connaissons le donjuanisme ou si l’Arlésienne est passée dans le langage courant, le roman d’Ivan Gontcharov a donné naissance en Russie à « l’oblomovisme », manière volontaire ou non de vivre dans la paresse et la procrastination. On y retrouve bien évidemment tous les « topoï » de l’image que nous avons du peuple russe, entre langueur et vapeurs de vodka.
La mise en scène de Dorian Rossel est brechtienne dans sa moelle, car elle réussit à la fois à respecter cette question délicate du « verfremdungseffekt », de la distanciation, de l’aveu de théâtre pour prendre la définition de Bernard Dort, tout en respectant le premier article du petit Organon pour le théâtre : « Depuis toujours, l’affaire du théâtre, comme d’ailleurs de tous les autres arts, est de divertir les gens. »
C’est un fait, le spectacle est très divertissant tout en gardant harmonieusement l’étrangéité de la mise en scène. Les rôles sont pris en charges par plusieurs comédiens, les lieux sont symbolisés par des tissus ou des chaises et le temps est explosé.
La mise en scène, brillante et drôle tout en plongeant dans les limbes de la sensibilité, permet aux acteurs de s’épanouir dans leurs rôles, surtout le rôle-titre magnifiquement interprété par Xavier Fernandez-Cavada, qui réussit à tenir dans le noir de ses yeux toute la force et la puissance nécessaires pour interpréter ce rôle de mollasson qu’est Oblomov. Même si les scènes de groupes laissent un peu à désirer (on sent l’effet visuel plus que la réelle motivation des personnages à se mouvoir), voilà un spectacle à retenir quand on aime le bon théâtre de texte, simple, intelligent et solide à la fois.
18h: L’homme semé, Cie La Question du Beurre – Théâtre
Dominique Wittorski fait partie de ses rares auteurs (avec, dans des styles profondément différents, Valetti ou Testori) dont le théâtre à lire reste très énigmatique car il est profondément écrit pour la scène, pour être dit bien plus que lu. On se souvient de son Ohne avec Yann Colette ou de Requiem qui, tous les deux, s’engageaient sur des sujets plus improbables les uns que les autres. Dans beaucoup de ses pièces, Wittorski fait revenir les morts.
Ici, c’est carrément toute l’ascendance d’Oedipe sur six générations qu’il nous ramène sur le plateau ! La pièce retrace le mythe du mythe de façon aussi surprenante que détonante. Dans un bordel plus ou moins organisé (malheureusement souvent pas assez pour être vraiment brillant), les comédiens (on retrouve avec plaisir Fabien Joubert qui enchaîne les spectacles en cet été) évoluent sur un décor de tréteaux magnifique pour nous donner à voir une pochade intelligente et étrange. A la sortie, la moitié des spectateurs est ravie, l’autre moitié complètement déconcertée, s’interrogeant sur les raisons du plaisir des autres…
Notes :
La Caserne des Pompiers se pare chaque année d’une exposition. Cet opus sera consacré aux liens entre les graphistes et les théâtres. En effet, la région Champagne-Ardennes accueille en son sein depuis 1990 le Festival international de l’affiche et du graphisme de Chaumont ainsi que le Centre International du Graphisme. Sont proposées diverses affiches, plus surprenantes (ou moches) les unes que les autres dans lesquelles on découvre comment l’identité visuelle peut accompagner les metteurs en scène ou les lieux d’année en année.
Autour de la Caserne des Pompiers, vous pouvez continuer l’inspection de la région en allant déguster du champagne apporté spécialement pour l’occasion. Sinon, outre une boulangerie banale, on fera un petit tour au restaurant italien qui propose des plats en bocaux à réchauffer (c’est toujours meilleur réchauffé) dont la plupart sont délicieux et peu onéreux. Des produits sont proposés pour les intolérants au gluten ou au lactose. Ce qui reste étonnant, c’est que ces deux enseignes ferment entre 14 et 18h, en oubliant que d’un petit village Avignon devient pendant un mois l’un des plus grands festivals du monde…
Même si la Caserne des Pompiers n’est pas le lieu le plus ambiancé du Off, du fait de son absence de buvette et de la très grande présence de professionnels et de la presse venus ici pour travailler, plus que pour passer un bon moment, le lieu dégage une grande légèreté et demeure un havre de calme dans la folie avignonnaise.
Bruno PATERNOT