AVIGNON OFF : « LA FUITE » AU THEATRE DU CHENE NOIR
LE BRUIT DU OFF/ 15 juillet
AVIGNON OFF : « La Fuite » d’après Gao Xingjian, mis en scène par Andréa Brusque au théâtre du Chêne Noir jusqu’au 27 juillet à 15h.
Cela avait plutôt bien commencé… Un jeune homme et une toute jeune femme aux abois venant trouver refuge dans cet entrepôt encombré d’objets hétéroclites, sorte de mise en abyme du désordre chaotique qui règne en maître dehors. La semi-obscurité, le bruit des mitrailleuses qui crépitent à l’extérieur, la panique qui envahit la jeune femme découvrant que sa robe est souillée de sang avant que, soulagée d’être encore en vie, elle ne s’aperçoive que ce sang n’est pas le sien…
Très vite retour à l’horreur : le terrifiant regard de l’autre femme au cri resté figé dans la gorge lui revient en pleine figure, le sang dont sa robe est maculée lui appartenait… De même le bout de cervelle que le jeune homme horrifié découvre en passant la main dans ses cheveux, c’était celui d’un manifestant ou d’un passant à la tête éclatée par une rafale.
Brève immersion, d’emblée réussie, dans le théâtre de la cruauté de toutes les guerres civiles, lieu où la population devient un réservoir de martyrs en puissance. Le parti pris réaliste est assumé non sans un certain esthétisme grâce au jeu des lumières. Et lorsque l’on sait que Gao Xingjian s’est inspiré des événements de la place Tian’anmen (Pékin, 1989) pour écrire sa pièce, on se dit que la férocité de la répression qu’il va nous exposer, lui qui avait été renvoyé, quelques vingt années auparavant, durant la Révolution Culturelle en camp de rééducation après s’être vu contraint de brûler une valise contenant plusieurs manuscrits, est marquée du sceau de son expérience personnelle.
D’autre part, on n’est pas prix Nobel de littérature 2000, lecteur ou/et traducteur d’Eugène Ionesco, Jacques Prévert et Henri Michaux, par purs hasards. Le sujet documenté, le parcours de l’auteur du texte, tout laissait donc à penser la qualité du huis-clos à venir réunissant trois personnages « en sursis ». Jusque-là tout allait bien … Mais ensuite, tout s’écroule…
Ce qui va se passer en effet là, dans cette antichambre de la mort qui rôde, n’est aucunement à la hauteur du tragique de la situation. Les échanges aussi bien physiques qu’intellectuels sont d’un convenu et d’une platitude assez sidérants. En effet, si la libido – certes exacerbée par la menace immanente et imminente que fait peser Thanatos – est l’ultime refuge pour se sentir encore vivant en assurant, un bref instant, la décharge des tensions accumulées, sa représentation mimée sur le plateau est des plus lourdingue : elle ne dit rien de la sensualité rageuse qui s’emparerait de personnages confrontés à l’impensable de la mort mais participe plutôt d’un fabliau comique. Quant aux longs débats pseudo philosophiques concernant le rapport que cette jeune femme peut entretenir avec ces deux jeunes hommes, ils relèvent d’une indigence patente et ont très peu à voir avec ce qui se joue ici et maintenant.
Les acteurs ont beau se débattre avec énergie, le texte leur ôte toute crédibilité. La déception est à la hauteur des fortes attentes qui avaient poussé à se précipiter vers La Fuite.
Yves Kafka