LEAR, OLIVIER PY : CE QUE L’ON NE PEUT DIRE, IL FAUT LE TAIRE…

lear o py

LEBRUITDUOFF-05 juillet 2015

69e FESTIVAL D’AVIGNON : LE ROI LEAR, Olivier Py, Cour d’Honneur / samedi 4 juillet 2015.

La cour d’Honneur ce 4 juillet, pour la mise en bouche de la 69ème édition du festival, hésitait entre applaudissements timides, quelques bravos et des vagues de huées vite retombées. Il faut dire que si Krystian Lupa l’après-midi même à La Fabrica (Des arbres à abattre d’après Thomas Bernhard) avait soulevé les foules jusqu’à la standing ovation, Olivier Py était resté lui en-deçà d’une adhésion spontanée difficile à lui accorder.

Non que les intentions du directeur metteur en scène ne soient pas marquées du sceau d’une lecture-réécriture (il a lui-même retraduit la pièce de Shakespeare pour en proposer une écriture plus fluide, disponible chez Actes Sud Papiers) à la fois fine et respectueuse de l’atmosphère élisabéthaine, ne serait-ce que dans la place laissée à la truculence sexuée ou scatologique de certaines répliques et situations mises en scène. Mais, à vouloir trop jouer sur la surthéâtralité de certains signes, il a épuisé leur charge expressive pour en faire des ballons de baudruche vite dégonflés.

Sur l’immense plateau de la Cour d’Honneur, sous l’inscription lumineuse – à la Claude Lévêque – qui en lettres de feu annonce « TON SILENCE EST UNE MACHINE DE GUERRE », un praticable flanqué d’escaliers et portant des graffiti, une armoire, une table de maquillage, un lit (pouvant servir aux fornications) et une autre table sans oublier un piano où, en direct, Damien Lehman interprétera des musiques de Frédéric Chopin, de Salvatore Sciarrino et de Philippe Hersant entre autres.

Mais si le décor est dépouillé à souhait, si la scénographie par la suite évoluera pour libérer sous le plancher la tourbe où disparaîtront un à un les protagonistes qui s’entretuent ou meurent seuls de leur folie, il n’en est pas de même de la mise en scène.

Le ton est donné d’emblée. Alors qu’une frêle et gracieuse danseuse d’Opéra s’exerce à des pointes dans des mouvements d’une pureté virginale, arrive une moto pétaradante chevauchée par un bad boy tout de cuir noir vêtu et visiblement en rut. Cordélia, la douce et tendre petite dernière du Roi, et Edmond, le fils bâtard de Gloucester, sont ainsi opposés de manière caricaturale. La jeune fille préférée et pure sera pourtant celle par qui le scandale arrive puisque, en refusant de surenchérir à l’amour que ses deux sœurs ont proclamé ressentir pour leur père (le Roi Lear, qui, on s’en souvient, à décider de remettre son royaume à ses filles pour s’adonner à d’autres loisirs, vieillissant qu’il est), elle s’enfermera dans un mutisme complet (signifié de manière pour le moins « appuyée » par une large bande de scotch noir barrant sa bouche…) qui déclenchera l’ire du vieux roi, alors que, parallèlement, le félon abject qu’est le fils illégitime d’un Pair du Royaume se parera des apparences de la bonté filiale pour mettre à feu et à sang le pays.

Godard nous gratifiait récemment d’un Adieu au langage, Olivier Py met ses pas dans ce sillon en montrant la folie de ce vieux roi qui, non seulement fait preuve de démence dans le choix qu’il propose (comment peut-il « raisonnablement » mettre en concurrence l’amour que ses trois filles lui portent ?), mais redouble sa démence dans le crédit qu’il accorde aux déclarations d’amour fallacieux de Goneril et de Régane (le Fou lui ne s’y trompe pas !) et, a contrario, dans la condamnation sans appel du silence – pourtant « parlant » – de Cordélia.

La Machine de Guerre sera ainsi déclenchée, le silence [de Cordélia] ayant transformé l’amour en haine. Libérant l’espace des désirs avides, le langage « à vide » ne tenant plus rien, les appétits les plus sordides vont se déchaîner et entraîner trahisons en chaîne, énucléations et autres turpitudes en creux.

Ainsi soit-il de l’Humanité sans langage… Il a suffi d’un vieux roi dément pour énoncer un jugement vide de sens qui va mettre le feu aux poudres des désirs inassouvis. Car enfin qui dit la vérité ? La démence-folle d’un vieux père – Roi qui plus est – qui joue avec l’amour de ses filles comme d’un horrible chantage aux relents incestueux ? Lui pour qui les mots sont si importants qu’il ne se donne aucunement la peine de saisir qu’ils avancent masqués au service des pires tromperies et qu’ils ne sont que des miroirs aux alouettes propres à faire tourner la tête des vieux fous ? Ou la parole du (vrai) Fou qui elle débusque – impertinemment mais non sans pertinence – derrière les masques de l’hypocrisie sociale les intentions cachées?

Cette folie là, comme le Théâtre, est le lieu de la vérité qui a su se dégager des rets du refoulement.
Mais « ce que l’on ne peut dire, il faut le taire » dira Cordélia, traversée par l’intuition savante – qu’elle partage avec le Fou, sujet de lui-même qui parle au-delà du principe du refoulé – que le langage, même libéré, est confronté à ses propres limites. C’est d’ailleurs cette incomplétude qui crée l’incessant besoin de s’en emparer pour dire ce qui lui résiste. Et ça, Olivier Py l’a bien montré au travers de sa traduction. Comme il a mis en exergue les ravages de ces deux frères (Edgard et Edmond) et de ces deux sœurs (Goneril et Régane) s’entretuant pour vouloir désirer le pouvoir ou le même objet sexuel. Fable sur le désir du pouvoir, du sexe, et sur la folie, le Roi Lear « met en pièces » toute tentative naïve de croire que le XXIème siècle échappera (pas plus que le XXème n’a pu le faire) aux tentations mortifères.

Seule, comme se plaît à le croire le directeur du festival, « la promesse du langage » peut redonner foi et juguler l’errance dans les dérives extrêmes. Dommage, malgré de belles interprétations et des intentions louables, que sa mise en scène soit trop surthéâtralisée.

Yves Kafka

Article publié en partenariat avec INFERNO Magazine

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