« LA RONDE DE NUIT » : Le Théâtre cru de Jean-François Matignon

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AVIGNON OFF : La Ronde de Nuit / Jean-François Matignon – Cie Fraction / D’après Modiano / au Théâtre des Carmes.

On connaît le goût de Jean-François Matignon pour l’adaptation au théâtre de ces romans signifiants, ceux dont le lecteur se souvient longtemps, marqué dans l’esprit au fer d’une brûlure littéraire indélébile. Ainsi du superbe « La Peau dure » de Raymond Guérin, avec lequel Matignon nous avait il y a quelques années enchanté dans une magistrale reprise incarnée par l’inoubliable Sophie Vaude (Et qu’il reprend cette année, toujours au Théâtre des Carmes).

On pouvait être de prime abord plus dubitatif quant à l’adaptation d’un Modiano, qui est loin de figurer dans notre panthéon personnel des auteurs. Modiano n’est pas Guérin, ni Büchner, David Peace, Brecht ou Didier-George Gabily, tous auteurs qu’affectionne le metteur en scène et qu’il a montés à de multiples reprises. Modiano n’est pas de la même trempe que ceux-là, et pour dire la vérité nous appréhendions un peu cette « Ronde de nuit », nouvelle création donnée au Théâtre des Carmes, soit pile en face du lieu que la compagnie Fraction occupa si longtemps, au 23 place des Carmes pour être précis.

Et c’est d’ailleurs de ce lieu qu’habilement le metteur en scène a repris dans sa scénographie les papiers-peints surranés, arrachés à l’immeuble vétuste et transposés ici sur les panneaux de « La Ronde », seul « décor » véritable d’un théâtre à nu, comme Matignon aime à pratiquer.

Un plateau gris, aux murs gris, baignés -autre signe distinctif du théâtre de Matignon- d’une lumière minimale, et voilà le cadre du drame planté. Pas de gras, pas de fioriture, comme toujours chez le metteur en scène. Un texte, un acteur, du théâtre cru.

On connaît le thème de « La Ronde » : le double-jeu, la trahison, la lâcheté. Un paumé qui pour le compte des gestapistes infiltre un réseau résistant et se noie peu à peu dans cette double identité. Un salaud si commun, veule, immonde. Un tout petit salaud ordinaire. A son image, sa confession est pathétique, minuscule. Son martyre final dérisoire. Comme toute sa minable existence. Le traitement par Modiano de ce personnage de peu est intraitable, il ne laisse aucune place à l’empathie.

Matignon en tire une parabole du théâtre même, le double-jeu peut se lire comme une métaphore du rôle, la perte d’identité comme celle qui régit tout comédien dès lors qu’il s’installe dans le jeu. Remarquablement servi par Thomas Rousselot, le personnage insignifiant et abject du roman de Modiano se livre à un déballage cru de sa misérable existence poisseuse, dans un soliloque tiré au cordeau. Un écorché terrifiant, tellement proche. Un miroir dégueulasse de cruauté ordinaire, que l’on nous tend sans complaisance.

Encore une fois, Matignon nous fait mal à l’âme. Son théâtre sec, implacable, brûle d’une rage sourde. Il nous ravage, détruisant sans ciller le peu de certitudes qu’il nous restait.

Marc Roudier

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