« UN OBUS DANS LE COEUR », AU BALCON : TOUCHE !

obus

LEBRUITDUOFF.COM – 20 juillet 2015

 » Un Obus dans le Coeur  » – mes Catherine cohen, avec Grégori Baquet – Théâtre du Balcon du 4 au 26 juillet à 12h15.

« Un obus dans le cœur » de Wajdi Mouawad : touché, ravi, conquis…

Le festival d’Avignon réserve de très belles découvertes ; cette cinquantième édition n’échappe pas à cette règle… pour peu, il est vrai, que l’on sache « trier » dans le catalogue fourre-tout du OFF qui, est-il utile de le rappeler, n’est en rien une programmation, mais un simple inventaire de produits répertoriés aux rayons du supermarché du « plus grand théâtre du monde » (sic. Cf. couverture dudit catalogue). Mis en scène par Catherine Cohen et interprété par Grégori Baquet – molière 2014, révélation masculine – « Un obus » est incontestablement l’une d’entre elles tant le jeu de l’acteur se hausse au niveau de l’intelligence d’un texte où la qualité d’écriture rivalise avec la profondeur de vue.

Wajdi Mouawad, libanais d’origine, français par transition et canadien d’adoption, a élu comme thèmes récurrents de son œuvre d’auteur et de metteur en scène les événements auxquels il a été très tôt confronté. Né en 1968 dans un Liban en guerre, théâtre d’événements à haute teneur traumatisante, il a développé une sensibilité à vif face aux tourments humains et manifesté une profonde attention pour les histoires où se jouent et rejouent la violence des hommes. Mais toujours pour en faire œuvre artistique, c’est-à-dire pour transcender cette violence au travers d’une écriture d’une beauté cristalline alliant le parler authentique, les éclats fulgurants et les échappées poétiques.

Ainsi, en 2009, présentait-il durant une nuit entière, du coucher au lever du soleil, dans la mythique Cour d’Honneur du Palais des Papes, sa trilogie Littoral, Incendies, Forêts, convoquant l’écho des figures antiques pour mieux conter les énigmes de la filiation et de la quête des origines. Et plus récemment, en 2011, c’était la trilogie Des Femmes qui projetait sur la scène contemporaine le destin tragique de trois héroïnes antiques, Déjanire, Antigone et Electre, chacune « déchirée » par le conflit qui l’oppose aux lois des hommes.

Dans le présent opus, court récit d’une vingtaine de pages, Wajdi Mouawad reprend le thème de l’identité, de la filiation – son rapport aux figures de la mère – et des traumatismes liés aux peurs héritées de la guerre civile, pour narrer l’histoire de Wahab qui, de l’appel téléphonique qu’il reçoit en pleine nuit pour lui annoncer la fin proche de sa mère hospitalisée, à son arrivée à l’hôpital où il retrouve sa famille geignant autour de l’agonisante, en passant par son trajet en autobus pour s’y rendre, va revivre par éclats son existence qui lui « explose » littéralement en tête.

Entre révoltes et pleurs, entre cris et chuchotements, entre gravité et poésie, cet itinéraire est à prendre comme un récit d’apprentissage dans lequel le protagoniste, seul en scène, va affronter ses terreurs anciennes pour tenter de les mettre à distance. Tenter aussi « d’accorder » les sentiments qu’il ressent avec la réalité vécue, afin de ne plus être ce pantin éclaté, agi par la violence qui fait rage en lui. Et la chronique de la mort annoncée de sa mère, celle dont il habitait le ventre il n’y a pas si longtemps de cela, est de nature à le faire accoucher de lui-même…

« Je suis frère jumeau d’une guerre civile qui a ravagé ma vie depuis ma naissance ». Et il se voit à sept ans, au Liban, devant cet autobus bondé de civils avec l’image de cet enfant en particulier qui lui sourit au travers des vitres. Des hommes débarquent d’une voiture et arrosent maintenant le bus. Les gens qui hurlent. Le bus en feu. L’odeur de viande cramée. Et dans le cœur des flammes, une femme en noir, née du feu, qui arrache la tête de son ami et se retourne vers lui, le regarde fixement. « Il n’y a plus de lumière, plus de beauté. »

Cette histoire, il l’a racontée à un grand-père, un jour de fugue de ses quatorze ans. Et ce dernier lui a dit : « Aie confiance. Laisse-toi pénétrer par ta peur. Une horde de loups arrivera pour te libérer de la femme aux membres de bois. Il n’y a qu’une peur d’enfant pour terrasser une autre peur d’enfant. »

Et lorsqu’il retournera une ultime fois dans la chambre où sa mère morte repose, il « rencontrera » de manière hallucinatoire la femme aux membres de bois, comprendra dans un éclair – comme un second éclat d’obus – que s’il ne reconnaissait plus la figure de sa mère c’est que celle-ci pour le sauver s’était fait dévorer à sa place, et lorsque l’horrible femme en noir s’apprêtera à le dévorer à son tour, la porte s’ouvrira… Une horde de loups se précipitera sur elle et la mettra en pièces. « Je reprends vie ». La prédiction s’est réalisée.

Pour dire ce parcours éprouvant autant que fondateur, itinéraire violent émaillé de moments d’humour (le conducteur du bus ou la rencontre sur le parking de l’hôpital d’« un père-noël » canadien en panne de voiture), de tendresse et d’incompréhension (« Plein de mots pour calmer la tempête de mon cerveau. Je les entends venus de la nuit des temps. Ma mère meurt, la salope. L’obligation de l’aimer parce qu’elle meurt… Ils ne pleurent pas, ils braient. Seule ma sœur fait de ses larmes des perles de silence. »), la langue puissante et poétique de Wajdi Mouawad. Les vidéos projetées en arrière fond – qui encadrent le récit – superposant de manière tremblée les images de l’enfant innocent qu’il était, et les échos sonores en voix off d’autres personnages, constituent des ouvertures sur l’extérieur de nature à marquer des pauses dans une dramaturgie aux accents angoissants.

Au final c’est bel et bien cette superbe langue, incarnée par un très remarqué comédien au ton juste et insérée dans une scénographie sobre s’effaçant intelligemment devant les fulgurances incandescentes des mots à l’œuvre, qui porte jusqu’à nous quelque chose de l’indicible des séparations à opérer pour tenir à distance les peurs et traumatismes hérités de l’enfance. Un moment rare de plénitude théâtrale.

Yves Kafka

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