« DON JUAN REVIENT DE LA GUERRE », THEÂTRE DES HALLES
LEBRUITDUOFF.COM – 24 juillet 2015
« Don Juan revient de la guerre » d’Odön von Horvath – Théâtre des Halles du 4 au 26 juillet à 20h.
Don Juan ou la quête d’un mythe au bord de l’épuisement…
Lorsque l’écrivain né en Hongrie, ayant vécu dans l’Allemagne pré-nazie avant de trouver incidemment la mort à Paris (une branche sur la tête, devant le Théâtre Marigny…), publie son « Don Juan revient de la guerre », nous sommes en 1937. Une période de l’entre deux où les blessures de « la Der des Ders » sont toujours béantes et où la terrible ascension du IIIème Reich est depuis 1933 une réalité en marche. C’est dans ce contexte particulièrement sombre et angoissant, où d’autre part l’inflation ruine les petits bourgeois et complique à l’extrême la vie quotidienne de chacun, qu’il imagine un Don Juan « sur le retour ». Un homme, se disant transformé par l’épreuve de la grande guerre et partant, repenti dit-il, sur les routes de l’Allemagne défaite à la recherche d’un amour perdu…
Passé qu’il dit « mort » en lui – et en cela, il énonce à son insu « la vérité » : la fiancée, l’objet de sa quête fil rouge de la pièce, s’avèrera morte dès 1913 – mais passé qui « agit » ses comportements présents tant il est avéré que, quelle que soit la force des épreuves vécues qui remodèlent l’espace intérieur, la structure originelle, elle, perdure, prise dans une compulsion de répétition implacable.
Ainsi, en vingt-quatre tableaux répartis en trois actes (comme dans une tragédie classique, sauf que là, « il y est permis de rire ») annoncés par des « cartons » projetés sur tableau noir, Guy Pierre Couleau, metteur en scène et directeur du CDN d’Alsace, présente pas moins de trente-cinq figures de femmes qui vont (re)tomber – ou pas – dans les bras de Don Juan, toutes étant les facettes hallucinées de la perfection qu’il recherchait sans jamais « risquer » la trouver. Car là est le paradoxe, lui qui se disait aimer les femmes, pour les avoir furieusement collectionnées, est passé à côté de toutes. D’où son désir présent de « retrouver » cet amour perdu au travers des traits d’une fiancée abandonnée. Mais l’Histoire, la petite comme la grande, ne repasse jamais les plats, et ce qui n’a pas été vécu à un moment donné, ne le sera jamais plus.
A un rythme effréné, les deux actrices incarnant toutes ces entités féminines et l’acteur jouant le repenti amoureux vont donner corps et voix à cette « recherche » vouée d’emblée à l’échec (la fiancée n’est plus, on l’apprendra vite, mais « lui » qu’à la fin). Soldat déchu de cette guerre perdue par l’Allemagne, souffrant de plus de la « grippe espagnole » (encore plus mortelle que la guerre ne l’avait été), son errance débridée au travers d’un pays ruiné, est l’occasion de rencontrer la désespérance des survivants ébranlés jusqu’aux valeurs morales et spirituelles qui fondaient le socle de leur culture.
Un texte « lumineux » mettant en exergue au travers de tableaux concrets les ravages des forces obscures à l’œuvre, une mise en scène originale et efficace, et des acteurs impliqués dans les personnages qu’ils donnent à voir avec justesse, font de ce moment de théâtre, « une petite histoire » fort pertinente. Et lorsque le bonhomme de neige final, penché sur la tombe de ses illusions perdues, se sait lui-même appelé à disparaître avec elles, on se dit qu’il y a là, dans cette neige destinée elle aussi à se déliter, « matière » à réflexion sur l’époque présente.
Yves Kafka