DANIEL HELLMANN, « TRAUMBOY », LA MANUFACTURE
LEBRUITDUOFF – 16 juillet 2016.
Daniel Hellmann : Traumboy – La Manufacture – 15 – 19 Juillet 2016.
Et si c’était vrai…
Pendant tout le spectacle, Daniel Hellmann va jouer avec nos nerfs… vrai ou faux… Tout ce qu’il dit est-il pure fiction ou histoire vécue ?
Dans notre for intérieur, étrangement, on veut croire que ce qui se dit, se joue devant nous est vrai, que cette auto-fiction à la Christine Angot est un coming out sincère et courageux mais, plusieurs fois, le doute s’installe et trouble la pensée.
Dans la petite salle de la Manufacture, le performeur, chanteur, danseur et surtout « travailleur du sexe » Daniel Hellmann va nous raconter où, quand et comment il a commencé ce métier de travailleur du sexe, légal en Suisse ou en Allemagne, mais réprimé en France et ailleurs. Il va décrire les prix, les positions, les profils des clients. A l’aide d’un diaporama, il va montrer beaucoup de son intimité jusqu’à sa bar-mitsvah, mais il n’aime pas parler de sa judaïté… pourquoi ? On ne saura pas. Il préfère dire qu’il est arabe pour expliquer sa circoncision, un comble.
Daniel Hellmann est cash. Il dit tout. Il raconte des choses de lui. Il permet des questions via un système de SMS puisqu’il donne jusqu’à son téléphone français pour, on ne sait jamais, gagner quelques clients… Du coup, il se permet de poser des questions au public qui se prête, plus ou moins gêné, au jeu des questions vérité. Il nous met alors dans une position très intéressante, nous qui étions là, en quelque sorte, comme des voyeurs, devenons observés à notre tour et le message est clair, si vous êtes là pour fouiller dans ma vie, en échange, je veux connaître quelque chose de la vôtre… et pourquoi pas… sauf que c’est lui qui maîtrise tout, les questions comme l’usage des réponses pour la dramaturgie du spectacle…
S’ensuivent quelques moments cocasses entre karaoké, séance de photos hot et installations plastiques tant les couleurs comme les objets sur scène sont étudiés.
La scène finale, l’homme aux vies et visages multiples Daniel Hellmann avoue son goût pour la chanson kitch et son désir de chanter à l’Eurovision, pour n’importe quel pays… et c’est à cet instant que le doute revient. C’est la fin du spectacle et si Daniel Hellmann ne nous a rien épargné des mots crus qui vont avec les scènes de baises, tout est resté sous contrôle. Il n’y a pas de scène « chaude » où les ligues de vertus pourraient se déchaîner, non. Il a quelque chose du garçon sage qu’il a du être avant, les photos le montrent avec ce physique d’ange et la gueule qui va avec. Ni tout à fait provoc ni complètement mythomane, il oscille tout le temps entre une invitation a en savoir plus et un repoussoir pour nous écarter de lui. Il essaiera bien, pour voir jusqu’où nous sommes, comme lui, exhibitionniste de faire monter l’un de nous sur scène, ou de nous inviter pour 3 euros, le prix d’une bière au bar, à venir avec lui contempler ses godes à son effigie et des films de cul où il joue… Personne ne vient voir ça de près… La règle du pure spectacle est respectée.
D’où vient alors cet oscillent dans notre esprit ? Et si c’était vrai. Si tout ce que ce Traumboy raconte de sa vie, était sa vraie vie, dédoublée entre étudiant sage et prostitué sur des réseaux gays, faudrait-il admirer cette volonté de servir une cause, de lutter contre les stéréotypes de la prostitution qui serait mal, rendrait sale, serait déprimant ? Ce petit tic qu’utilise Daniel Hellmann de nous dire « ça, je ne l’ai jamais dit à personne » accentue le doute, trop beau pour être vrai.
Quoi qu’il en soit, il est certain que Daniel Hellmann peut jouer. Tout. Il a une présence forte, une façon d’entrainer le récit, de le couper avec des scènes qui exhument la beauté d’un sujet et d’une matière où il semble difficile de pouvoir en voir… c’est troublant tout le temps. C’est juste assez provoc pour tenir en éveil et c’est là que la véracité est en doute.
Pour leur première édition, la sélection Suisse à Avignon a fait fort en proposant un spectacle qui montre à la fois, par certains aspects, l’ouverture d’esprit de ce pays souvent moqué pour sa lenteur, mais bigrement en avance sur tous les sujets de société : fin de vie, prostitution, sexualité avec les handicapés… Cette initiative bien venue montre la richesse de la création Suisse et il était temps que des artistes, tel Daniel Hellmann, puisse passer les Alpes et se produire en France qui plus est à Avignon où la qualité d’un tel spectacle ne nuit pas, c’est certain, à la réputation de la Suisse.
E Spaé