« LA RELIGIEUSE », UN BRÛLOT A RENDRE VERT LA CITE DES PAPES

La religieuse 1 - light

LEBRUITDUOFF – 16 juillet 2016

La Religieuse – Collectif 8 – Chêne noir du 6 au 30 juillet à 13h15 (relâche les 11, 18 et 25 juillet)

Un brûlot à rendre vert la cité des Papes

Sans conteste, nous tenons là le graal de la pensée critique, un joyau ciselé de saillies dont l’impertinence affûtée et raffinée à l’envi fusent jusqu’à porter à l’incandescence l’esprit brillant de Diderot, l’auteur de « L’Encyclopédie, dictionnaire raisonné des sciences et des Arts ». Sur le plateau du Théâtre du Chêne Noir – dont la vie antérieure, ironie de l’Histoire, était faut-il le rappeler « consacrée » (sic) à une ancienne église – deux actrices illuminées par la grâce (celle des Arts vivants) évoluent dans l’écrin d’une scénographie hypnotique. La mise en jeu imaginée par le Collectif 8 (nom pouvant être entendu comme un hommage subliminal adressé « à demi » à Federico Fellini) emprunte au théâtre et au cinéma le meilleur de leurs ressources respectives pour « projeter » sur scène une Religieuse délibérément libre artistiquement et divinement contemporaine dans son discours scrupuleusement vrai-faux dévôt « à la lettre ».

Au moment même où le réel insiste en attentant aux fondamentaux humains, la pensée du philosophe du siècle des Lumières résonne comme une urgence absolue. Diderot, au XVIIIème, dénonçait au travers de son roman sulfureux, l’indécence scandaleuse d’une société se soumettant au joug d’un fondamentalisme catholique qui n’hésitait pas à broyer l’existence de très jeunes filles, cloîtrées « à vie », et ce au nom du Dieu miséricordieux des Catholiques. Aujourd’hui, c’est un camion fou conduit par un fondamentaliste gagné aux thèses islamistes qui broie des vies, innocentes ou pas. Dans l’un et l’autre cas la vie humaine est sacrifiée au nom du Père, du Fils, du Saint Esprit (abus de langage), amen… ou aux cris d’Allah Akbar, mais le processus à l’œuvre est rigoureusement identique : endoctriner pour annihiler tout discernement, s’approprier une part de cerveau disponible pour étouffer toute conscience individuelle.

« Le rideau de scène » s’ouvre sur le décor d’une cellule monastique où est enchaînée une toute jeune fille, Suzanne Simonin. Son « crime » – si crime il y a ; en quoi susciter le désir de chair serait-il coupable ? – est d’avoir confié à sa mère que le prétendant de sa sœur la préférait, elle, à celle qui lui était destinée par les vœux coupables de ses parents. Les poignets enchaînés, on la découvre traitée comme une criminelle pour avoir de plus – comble de l’ingratitude – refusé de prononcer ses vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance. Des flots de mots et de lettres projetés en vidéo vont ainsi déferler sur les murs et le plancher de la cellule reconstituée, envahissant le moindre espace pour rendre vivante la pensée déferlante du philosophe des Lumières. La pensée vivifiante, seul recours à opposer à l’obscurantisme prêché par les litanies liturgiques du discours religieux.
Les jeunes filles enterrées vivantes dans les couvents n’ont plus d’histoire, elles deviennent des vierges folles, se suicident (on leur offre comme voie de sortie du monde d’ici-bas les profondeurs d’un puits) ou bien se dessèchent jusqu’à ce que mort s’ensuive. C’est justement cette « absence d’histoire », cette chronique d’une mise à mort programmée que Diderot dépeint avec la force de ses écrits lumineux seuls susceptibles d’éclairer les ténèbres des dérives mortifères de la Sainte Eglise.

Pour soulever cette chape de silence pesant que la société bien-pensante, secondée « fidèlement » par un esprit religieux mû par des intérêts de classe trouvant racine dans le terreau ô combien fertile des névroses – névroses qu’il (dé)génère et/ou sur lesquelles il prend appui -, le Collectif 8 imagine un dispositif ancré dans les ressources contemporaines offertes par le cinéma. Ce faisant, il jette de fait un pont entre deux époques séparées par trois siècles. Ce lien « imagé » dément toute solution de continuité, aucune rupture en effet dans les prétentions réitérées de mainmise du religieux sur les affaires d’ici-bas.

Ajouté à cette invention d’une efficacité redoutable, le jeu subtil des deux comédiennes (mises en scène superbement par Paulo Correia qui assure aussi la création vidéo) se répartissant la dualité du personnage de Suzanne Simonin, à la fois victime abattue et observatrice avisée de ce qu’on lui inflige : tandis que l’une donne à voir les affres de sa situation, l’autre, toute de douceur violente, dissèque les processus à l’œuvre en prenant en charge la parole de Diderot.

Ainsi les névroses des supérieures qui dirigent les couvents successifs où Suzanne Simonin (être fictif de papier créé de toutes pièces par Diderot selon le procédé littéraire de cristallisation métonymique, à prendre comme « une étude de cas ») est « accueillie » – « incarcérée » conviendrait mieux à la situation – échappent-elles à l’atmosphère confinée où elles se développent, telles des bactéries en terrain humide, pour éclater au grand jour. Panel plus que parlant de ce que leur propre « enfermement » produit, ces névroses se répartissent entre sadisme avéré et sexualité hystérique à satisfaire en milieu contraint.

Quant à la clôture de cette plongée en terres carcérales religieuses, elle met en abyme l’action (« stop, action » nous sommes aussi au cinéma) et la pensée qui la « réfléchit » (au sens où un miroir réfléchit une image) au travers de la projection de phrases chocs du philosophe des Lumières… Les couvents et la non-existence claustrale qu’ils génèrent sont-ils indispensables à la vie ? Qu’en est-il des préceptes affichés par la religion au regard des actes posés ? L’hypocrisie mortifère et le fanatisme dément qu’elle produit (à l’insu de son plein gré) ne sont-ils qu’avatars d’une créance divine à passer au compte des pertes et profits humains ?

Cette production éclairée présente toutes les qualités esthétiques et philosophiques propres à lui accorder, malgré – ou plus exactement « à cause de » – l’esprit critique qu’elle déplie avec une pertinence aiguë à mesurer à l’aune de son impertinence foncière, notre absolution… sans réserve aucune. A voir… absolument.

Yves Kafka

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