« L’HOMME ASSIS DANS LE COULOIR », BRÛLOT EROTIQUE DE DURAS AU PETIT LOUVRE
LEBRUITDUOFF – 20 juillet 2016
« L’homme assis dans le couloir » : Le petit Louvre du 7 au 30 juillet à 19h (relâche les 12 et 21)
L’homme assis dans le couloir : immersion dans la sensualité radicale de Marguerite D.
S’il est une « œuvre-vie » qui est traversée de part en part par l’écriture de la passion déclinée dans tous ses états, c’est bien celle de Marguerite Duras dont le roman auto fictif L’amant – prix Goncourt 1984 – a révélé au grand public les brûlures de la jeune fille du Mékong, amoureuse de son amant chinois.
Aussi, lorsque Gabriel Garran, fondateur du mythique Théâtre de la Commune à Aubervilliers, s’empare de ce brûlot érotique qu’est L’Homme assis dans le couloir – obscur objet du désir mis en lumière par la projection fantasmatique – il pense à une comédienne, Marie-Cécile Gueguen, capable de délivrer sur scène la violence du désir amoureux.
« Ça rend sauvage l’écriture. On rejoint une sauvagerie d’avant la vie. On ne peut pas écrire sans la force du corps ». On ne peut pas jouer non plus la radicalité des pulsions sexuelles sans les ressentir violemment dans son corps. « L’homme aurait été assis dans l’ombre du couloir face à la porte ouverte sur le dehors. Il regarde une femme qui est couchée à quelques mètres de lui sur un chemin de pierres. » La comédienne, tenant en main un exemplaire des Editions de Minuit, lit d’abord ces phrases qui ouvrent le roman, puis, comme pour le faire basculer dans l’univers du théâtre, elle presse sensuellement le livre sur sa poitrine et incarne désormais cette femme, devient sous nos yeux voyeurs cet homme et cette autre femme regardant l’homme et la femme jouir de leur rencontre. Jeux de miroirs décuplés qui inscrit notre propre désir dans le flux des leurs.
C’est que l’écriture mise en jeu « c’est hurler sans bruit », c’est violenter le réel pour s’intéresser au surgissement de ce qui n’est pas encore. Ainsi l’usage immodéré des conditionnels – d’emblée, « l’homme « aurait été »… – qui introduisent à l’éblouissement devant tous les possibles et ouvrent tout grand les portes du fantasme. Mots projetés dans et par la bouche de l’interprète se lovant comme dans une seconde peau dans des vêtements « ouvreurs de désirs potentiels ».
Faisant corps avec l’histoire qui n’en est pas une en soi puisque « écrire c’est raconter l’absence de cette histoire », la comédienne va être cette attirance irrépressible pour le contact de la peau de l’autre, pour la violence en milieu ordinaire que suscite le désir de chair, le tout transcendé par une langue qui a elle seule est objet de jouissance.
Profondément libre est l’écriture au féminin de Marguerite Duras pour qui l’écriture et la vie ne faisaient qu’un. « On est un écrivain vingt-quatre heures sur vingt-quatre ou on n’est pas un écrivain ». Elle disait « le sujet du livre est toujours soi ». Au travers de cette « représentation » frontale que l’on doit à la mise en jeu de Gabriel Garran et à l’interprétation radicale de Marie-Cécile Gueguen, le spectateur devient lui aussi le sujet de cette non histoire ô combien troublante puisqu’elle touche à l’endroit secret du désir.
Yves Kafka