WANAMAT’SHOW : « SPECTACLE POUR FEMME SEULE », EN KANAK
Wanamat’Show – Chapelle du Verbe Incarné du 7 au 30 juillet à 16h45
La Nouvelle Calédonie, cet archipel français du Pacifique éloigné de près de 20000 km de la métropole avec laquelle elle a engagé un processus d’indépendance depuis la prise d’otages de la grotte d’Ouvéa en 1988, est, au-delà des « événements » dramatiques qui l’inscrivent dans la mémoire collective, une terre de traditions vives et d’aspirations fortes. Ce show initié par Maïté Siwene, Kanak « de souche » originaire de l’île Maré, nous entraîne « là où se trouvent les plus belles grands-mères du Pacifique » pour avec humour et non sans « légèreté profonde » nous introduire au cœur de ce bouillonnement entre traditions et modernité.
L’inénarrable Pa Kutroïne – personnage de la grand-mère de son show précédent – dans sa belle tenue éclatante, sur une natte assise après une entrée tonitruante, annonce la couleur : « Je me suis évasionnée pour venir ici… ». Sa gouaille, son « franc parler » (sic) – elle, la Kanak – a quelque chose de magnétique. On remarquera cependant que le néologisme « évasionnée », au-delà de l’effet comique qu’il contient (la salle rit d’emblée à gorges chaudes), introduit de manière subliminale au désir de s’affranchir du langage des occupants en faisant un pas de côté. Ce détail éclaire à lui seul le dessein poursuivi : on expose les traditions pas pour les figer dans une vision carte postale pour touriste avide de pittoresque (on n’est pas au 13h de Jean-Pierre Pernaut sur TF1), on introduit dans le langage la césure annoncée avec la métropole.
Magnétisés, les spectateurs vont l’être en suivant les tribulations du clan de Pa Kutroïne. Il y a là le frère, la sœur, les oncles, etc. – c’est que là-bas, la famille « çà compte ». Tous ont quelque chose à se dire mais surtout à nous dire de cette société en mutation. Des aspirations de la nouvelle génération calédonienne – le trajet en voiture entre la sœur, passagère, et le frère au volant, réserve en cela bien des surprises sur qui « conduit » l’autre, de l’homme ou de la femme – aux us et coutumes propres à une culture qui enracine dans une identité revendiquée.
On est pris dans les filets du charme authentique qu’est celui de ces personnages – tous incarnés par la virevoltante et pétillante Maïté Siwene – et, pour peu, on aurait l’impression d’en faire partie de cette grande famille si chaleureuse… Surtout lorsque la comédienne très en verve sort de la scène pour s’élancer avec une belle énergie à l’assaut de la volée de marches afin d’extraire de son siège un paisible spectateur… qui lui servira de monture pour qu’elle regagne l’espace du plateau.
Entre les mines de nickel et les champs d’ignames se jouent les tensions inhérentes entre le nouveau monde et l’ancien. Loin d’une carte postale édulcorée de la Nouvelle Calédonie, ce sont toutes les couleurs du peuple kanak qui – par le biais de l’humour, arme pacifique – sont exposées ici. La coutume au-delà du folklore et de l’ancrage identitaire qu’elle représente, porte aussi en elle des germes réactionnaires propres à empêcher les évolutions ô combien nécessaires. Il y va de l’avenir de la jeune génération désorientée par ce grand écart. C’est de tout çà que nous parle – rires à l’appui – ce spectacle apparemment modeste.
Au final, l’impression laissée par ce monde kanak en ébullition, c’est que ce qui le réunit est encore plus fort que ce qui le divise : une formidable envie de vivre que l’énergie de la jeune comédienne porte à son incandescence.
Yves Kafka