« POMPIERS » : INTERVIEW CROISEE MESGUISH, CARRAZ, BARBUSCIA
Posted by lefilduoff on 8 juillet 2017 · Commentaires fermés sur « POMPIERS » : INTERVIEW CROISEE MESGUISH, CARRAZ, BARBUSCIA
LEBRUITDUOFF.COM – 8 juillet 2017
Avignon Off 2017 : « Pompiers » – de Serge Barbuscia avec William Mesguish, Camille Carraz – Théâtre du Balcon.
Comme un outil précieux qu’il faudrait toujours peaufiner, Serge Barbuscia, Camille Carraz et William Mesguish reprennent « Pompiers ». L’auteur Jean-Benoît Patricot, en observateur de son temps, s’est appuyé sur un fait réel, sorte de fait d’hiver tant il fait froid dans le dos.
Un pompier, forcément fort et beau, abuse de la faiblesse d’un amour porté par une femme fragile, simple diront certains, au point de « partager » son corps avec une partie de sa caserne. Si le décor est violement planté et n’amène aucun doute quant aux suites que la justice des hommes devrait, selon la bien-pensance, donner à pareil manipulation ; « Pompiers » révèle de multiples ambiguïtés que, selon Serge Barbuscia, seul le théâtre peut approcher, toucher… Sa mise en scène fuit tout jugement pour mettre en place la complexité d’une relation tordue : normale ou anormale, fantasmagorique ou répugnante ? Vous, le savez-vous ? La justice, elle, a tranché. Le pompier sera acquitté alors que Camille Carraz et William Mesguish, eux, cherchent encore sur un plateau cisaillé d’un liseré rouge.
Inferno : Comment avez-vous rencontré ce texte ?
Serge Barbuscia : Curieusement, oui curieusement. « Pompiers » a été présenté en comité de lecture à la commission Beaumarchais et je l’ai soutenu tout en étant persuadé qu’il n’était pas pour moi. Puis j’invite Camille à venir à une nouvelle lecture et c’est elle qui vient percuter le texte.
Camille Carraz : j’ai été subjuguée par le manichéisme et le masochisme de ce texte. Là, pour le coup, la première lecture a été fulgurante ! Je savais Serge en mesure de monter ce texte sans jamais verser dans une chronique judiciaire. C’est bien le questionnement de la manipulation que Serge pose au centre du plateau et pas seulement la simple manipulation de ce pompier mais bien celle, sociale, qui aboutira à déterminer la normalité de l’anormalité.
William Mesguish : Serge est le seul responsable ! Plus sérieusement, je me suis d’abord senti dans l’incapacité de jouer un tel rôle. C’était très éloigné de mes pratiques théâtrales et de mon territoire de jeu. Moi qui « mange » du théâtre classique à foison, je me retrouve avec, dans mes mains, un texte qui m’interroge sur ma capacité à le jouer, à dire ces mots. Et puis Serge m’embarque totalement en me disant le plus simplement du monde : « Il faut qu’on aille ailleurs !».
Inferno : Tout de même, « Pompiers » nous confronte aux pires saloperies d’une relation dite amoureuse si tant est que ce soit de l’amour ?
SB : C’est pourquoi j’ai voulu aller ailleurs ! Il nous fallait toucher cette situation, cet état qui confère au basculement d’un homme, bon, droit, honnête, sauveur et qui verse dans la manipulation pour devenir un prédateur.
WM : Et si c’était de l’amour, réel, vrai, puissant ! J’ai tenté de répondre à la rudesse du texte en jouant avec une forme de brutalité et cela ne marchait pas. C’était bien là où Serge voulait nous conduire, dans cet état trouble, sur cette frontière invisible qui nous permet, parfois, de flirter avec un certain onirisme. Reconnaissez que c’était peu probable à la lecture du texte !
CC : Le masochisme est-il une saloperie ? De toute façon, là n’est pas question. « Pompiers » nous interroge sur ce couple tordu, mais, en effet, Serge met en place un système qui permet une forme de rapprochement et peut-être même d’amour entre ces deux êtres. On peut vraiment se demander si ce pompier ne cherche pas, à travers cette relation, une forme de chemin de traverse clinique. Et si la fille l’avait compris ?
Inferno : C’est pour vous trois un travail tout particulier au point de vous écarter du répertoire que l’on vous connaît. « Pompiers » va laisser des traces non ?
CC : En tout cas, cela en a laissé au public !
SB : C’est cela le théâtre et uniquement cela !
Sans lui, on ne pourrait pas traiter de ce sujet, comme d’autres d’ailleurs. Seule la boîte noire autorise ce glissement, cette interrogation permanente sans jamais apporter une réponse ou une solution. Le théâtre est tout sauf un tribunal. Preuve en est, avec le temps et les différentes représentations ; les relations sur le plateau entre Camille et William semblent plus tendres ce qui perturbe d’autant plus le public. Le théâtre permet de toucher ce qui nous échappe. Passé le sentiment d’horreur, on se laisse entraîner à des sensations plus altérées, plus troublées.CC : Oui c’est cela ! Troublé ! La bien-pensance est entraînée dans ce tourbillon amoureux et tordu. Oui, il y aura des traces.
WM : Des traces, des traces… Oui sans aucun doute. Au-delà du fait que je me sais désormais et grâce à Serge en capacité de composer avec ce genre de texte ; l’expérience est passionnante donc marquante. « On pourrait imaginer que tu n’es pas ce pompier ! » Lorsque Serge m’a glissé cette phrase, la trace était déjà faite, j’étais déjà marqué…
Inferno : La complicité qui ressort de nos échanges signe une forme d’évidence à ce que vous ayez pris prendre ce risque, ensemble. Car « Pompiers », c’est un vrai risque, non ?
WM : ne pas faire le méchant avec un rôle de ce genre, oui, il y avait un vrai risque. Et puis, il y aussi le risque de comment sera reçu le simple fait de traiter ce sujet, basé sur des faits réels. Mais, il ne faut pas s’y tromper : pour Camille et moi, ce sont des rôles magiques !
SB : Ce qui représente aussi un risque, c’est bien le choix d’un texte contemporain, or « Pompiers » est incroyablement ancré dans notre temps. Ce fait-divers reste un fidèle miroir de notre monde. Le risque est aussi largement engagé pour Camille et William. Il y a une réelle mise en danger pour eux. Franchement, ce pompier, on n’a pas tellement envie de l’approcher !
CC : Dans la mesure où l’on ne pouvait pas rester sur la culpabilité a priori évidente, on prenait en effet un risque important. Apporter une forme de tendresse et, encore une fois, peut-être d’amour à cette relation des plus tordue, c’est comme le dit William, un rôle magique ! Entre nous, je veux bien prendre le risque de la magie…
Propos recueillis par Vincent Marin
ITW publiée avec l’autorisation d’INFERNO, Art et Scènes contemporaines. Cette interview a été réalisée pour le hors-Série papier spécial Festival d’Avignon d’INFERNO, disponible dès le 6 juillet sur tous les lieux du Festival et ceux du OFF.
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