AVIGNON OFF : « LA CONFESSION D’UN ENFANT DU SIECLE », PREMIERS EMOIS
LEBRUITDUOFF.COM – 15 juillet 2017
Théâtre des Amants ; » La Confession d’un enfant du siècle » de Musset, adaptée par Frédéric Vossier et mise en scène par Marie-Claude Morland ; du 7 au 28 juillet à 20h15, relâche les 12,19 et 26.
Les premiers émois d’un jeune homme écartelé
Donner au Théâtre des Amants « La Confession d’un enfant du siècle » – ce texte de Musset qui résonne comme un é-cri-t libérateur pour tenter, par le biais de la littérature, de mettre à distance la relation houleuse et passionnelle vécue deux années durant avec George Sand, femme libre s’il en était – prend statut de clin d’œil.
Trois années auparavant, le jeune Musset alors âgé de vingt-trois ans découvrait les vicissitudes du sentiment amoureux et son avatar, la jalousie, faisant osciller entre élans de vertu et tentations de débauche le jeune amant éperdu. Dans une mise en jeu épurée et subtile de Marie-Claude Morland, contrastant avec la violence des sentiments éprouvés par Octave, Bertrand Farge campe un enfant du siècle à la fois exalté et suffisamment distancié pour jouer la partition nuancée d’un combat intérieur sans autre issue que maintenir en soi le dur désir de vivre.
L’enfant qui souffre constate amèrement que si la guerre ayant cessé ne destinait plus sa génération aux hécatombes, elle la privait tout autant de raisons de vivre. La gaieté les ayant désertés, ces jeunes gens s’abimaient dans la maladie du siècle. Et puis il y eut ce fameux souper où, éperdu d’amour pour sa maîtresse assise en face de lui, il se pencha sous la table pour récupérer quelque couvert qui s’y était glissé… et découvrit le pied d’un autre homme (son ami) posé délicatement sur celui de sa maîtresse. Fou de malheur et de rage, il voulut la posséder une dernière fois mais ne put que frapper sa nuque d’un revers de poing. Dès lors, il n’eut de cesse que de s’étourdir dans la débauche pour échapper au souvenir lancinant de cet amour perdu. Mais l’apprentissage du vice ressemble à un défi et les bals masqués ou autres lieux propices aux rencontres tarifées n’eurent que peu prise sur l’oubli escompté.
Il trouva alors dans un séjour à la campagne, loin de l’agitation mondaine où il se perdait, une retraite salutaire. Il y rencontra une jeune veuve dont la gaieté, le raffinement, la simplicité, le séduisirent. Pendant qu’il courait les tripots, elle vivait en sainte. Mais la peur de lui avouer ses sentiments le tétanisa. Elle, sensible à la situation lui donna congé. Et lorsqu’ils devinrent enfin amants, sa jalousie – apprise avec sa première maîtresse – resurgit sous la forme de messages adressés par un ami d’enfance à sa nouvelle amante. Il se retrouva prêt à sacrifier la belle endormie sur l’autel de son amour trahi. Au moment où leur fuite pour Genève devait les préserver des excès de la passion, elle leur fut interdite. Comment se fait-il qu’il y ait en nous quelque chose qui aime le malheur ? Enfin l’enfant, devenu homme, comprendra qu’il n’est plus l’objet de l’amour, et reportera sur les beautés du monde extérieur (la vigne, le soleil) son désir de jouissance.
Cet itinéraire – en écho aux « souffrances du jeune Werther », le suicide en moins – emprunte au romantisme la personnalité passionnée et torturée du protagoniste, épris d’un amour si impérieux qu’il est prêt à sombrer dans la transgression des valeurs prônées par la société bien-pensante pour réaliser ses rêves. Pour incarner la folie passionnelle à l’œuvre chez le jeune Octave, déchiré entre abattements et emportements amoureux, entre accès de pureté et penchants pour la débauche entrevue comme un viatique, il fallait toute la maturité d’un comédien sachant de quoi on parle quand on aborde ces territoires où le sentiment prend le pas sur la raison. Et comme pour sceller ce pacte avec les forces dionysiaques qui font pendant au désir apollinien, les deux réunis dans la même adoration de l’art, Bertrand Farge, saisissant de maîtrise et de sensibilité à fleur de peau, nous invite à partager avec lui l’ivresse d’un verre qu’il nous distribue tout en jouant.
Un moment précieux vécu en marge de l’agitation du festival, comme pour rappeler que le caractère solaire d’Apollon et celui du déchaînement sensuel incarné par Dionysos, constituent deux parts indissociables de nous-mêmes.
Yves Kafka