AVIGNON OFF : « OPIUM », LA ZAMPA PERFORMATIVE ET POLITIQUE, A LA MANU
AVIGNON OFF: « Opium » de Magali Milian et Romuald Luydlin – cie La Zampa – La Manufacture – du 6 au 26 Juillet 2017 – Relâches les 12 et 19 Juillet
Quand la scène de la Patinoire nous livre une pépite dont elle a le secret.
La compagnie La Zampa, compagnie associée au théâtre de Nîmes, créée ce spectacle visuel et sonore de danse-théâtre-concert-performance pour la saison 2015-2016. La danseuse Magali Milian et le chorégraphe Romuald Luydlin s’associent autour du projet « Opium ». La notion de peuple leur est essentielIe.
Comment aborder ce sujet sur scène au travers de la danse ? Leurs recherches les mènent à « Du désert et des oasis » de Annah Arendt qui sera le point de départ :
« Il s’agit là de l’extension du désert et le désert est le monde dans les conditions duquel nous nous mouvons. C’est précisément parce que nous souffrons dans les conditions du désert que nous sommes encore humains, encore intacts. Le danger consiste en ce que nous devenions de véritables habitants du désert et que nous nous sentions bien chez lui. » (Hannah Arendt, « Qu’est ce que la politique ? »)
La scénographie reprend le thème du désert, ce grand vide, dans lequel les corps évoluent.De part et d’autre, des installations musicales vont accompagner le spectacle en live.Le génial guitariste Marc Sens, que l’on suit depuis longtemps au travers de ses collaborations avec Rodolphe Burger, Yann Tiersen, Serge Teyssot Gay ou Bertrand Cantat, inonde le spectacle de ses sons hallucinants qu’il arrive à sortir de son instrument. Benjamin Chaval, batteur virtuose et bidouilleur sonore impressionne d’énergie. Manusound à la basse et au bidouillages électroniques de génie complète le trio de musicien. Ils livrent les substances créatives menants à la transe hypnotique.
Sur scène, quatre danseuses, Magali et Corine Milian, Sophie Lequenne et Anna Vanneau évoluent dans ce désert et créent des oasis. Le chorégraphe et chanteur Romuald Luydlin, charismatique, sans artifice, nous envoûte de ses vibrations post-punk. Corine Milian chante aussi, follement. Quant à Sophie Lequenne elle exprime ses talents de comédienne dans un jeu irréel.
Les danseuses comme possédées donnent la sensation du temps aboli. Elles se meuvent avec grâce, s’attirent, se rencontrent, se fuient, ondoient telles des volutes, roulent s’enlacent, s’étreignent. Elles nous transmettent les émotions de la vie. La comédienne au jeu parfois drôle, parfois inquiétant, rajoutent à l’illusion de cabaret de curiosités issu d’un tableau Lynchéen. Les passages puissants et impressionnants laissent parfois la place à plus de douceur, la lumière crue aux clairs obscurs. Tout se passe sur scène, du jeu au changement de costumes. Les tableaux s’enchaînent, les transitions tantôt brutales, tantôt fondues secouent ou apaisent.
Ce désert est-il tout à fait connu? Cet opus fantastique laisse au spectateur le choix de son chemin, sans guide, sans plan dans ce monde angoissant. La destination n’est pas le but, les errances sont vie. Chacun y trouve son compte.
La compagnie La Zampa réussit son pari de faire un spectacle total, exigeant qui ne peut souffrir de la compromission de ces interprètes. On se laisse emporter dans cette ambiance énigmatique et jouissive et on souhaite que ces compagnies et salles osent encore prendre le risque de casser les codes et nous permettent d’atteindre l’autre côté du mirage.
Annick et Emmanuel Bienassis