« LES FILS DE LA TERRE », DE LA DIFFICULTE A TRANSMETTRE
LEBRUITDUOFF.COM – 24 juillet 2017
AVIGNON OFF: « Les fils de la terre » d’Elise Noiraud – Théâtre des Luciolles – du 7 au 30 Juillet 2017 – 18h50 – Relâches les 12, 19 et 24 Juillet
De la difficulté à transmettre.
Elise Noiraud est partie du film documentaire d’Edouard Bergeon (2012) sur l’histoire des jeunes agriculteurs qui reprennent l’exploitation familiale et qui subissent de plein fouet les difficultés du métier ainsi que la pression économiques liées à la période actuelle. Edouard dans le film et Elise dans la pièce de théâtre creusent un autre sujet plus universel encore, la transmission familiale.
Le spectacle commence par un feu de paille. Sébastien, fourche en main, remue la paille de plus en plus énergiquement, jusqu’à la projeter en l’air, férocement, comme une volonté farouche d’extérioriser ses colères. La lumière blonde dorée et l’odeur du foin sec nous plonge dans les moissons de la fin de l’été. Il a repris la ferme bovine de ses parents en GAEC. Ceux-ci à la retraite habitent toujours là; lui vit en ville avec sa femme qui attend leur premier enfant. Sébastien passe beaucoup de temps à l’exploitation, pas assez aux yeux de son père qui gagna de nombreux prix pour ses bêtes et son lait à la sueur de son front. Son père est taiseux quand il n’est pas colérique. Il aura consacré l’entièreté de sa vie à la ferme qu’il a lui même repris de son père et qu’il n’a cessé de développer. Son fils a étudié à la ville et reprend l’exploitation sans s’investir autant, ce qui lui est violemment reproché et il est tenu pour responsable de la situation de faillite. Le tribunal va statuer sur le redressement de l’affaire qui croule sous les dettes dans un contexte où le cours du lait ne cesse de baisser. Il doit s’engager à redresser la situation économique ou à perdre tout l’héritage familial.
Sur scène, Les meubles et accessoires clés de leurs vies sont utilisés dans une scénographie sobre qui alterne les moments du foyer et ceux à la ferme. La justesse du jeu des acteurs et le rythme des tableaux nous laissent le temps de nous imprégner et nous immergent dans une lente descente dans les introspections de l’homme acculé aux difficultés.
La liquidation sera-t-elle prononcée, les parents devront-ils quitter la ferme, Sébastien continuera-t-il l’agriculture?
La pièce répond à ces questions, mais elle ouvre le propos à plus d’universalité. 6 comédiens jouent Sébastien, ses parents, sa femme, son copain, son avocat, le juge et d’autres encore. On y ressent le manque de communication entre le père et le fils, la rupture générationelle entre les besogneux d’avant et le travailleur d’aujourd’hui qui souhaite vivre autre chose que le travail. Il y a aussi la difficile construction vers l’autonomie professionnelle et familiale lorsque les racines aux parents sont si fortes. Elise Noiraud creuse ces trois sujets en surimpression aux problèmes économiques de l’agriculture actuelle. La pièce nous emporte dans cette réalité dure et nous touche profondément. On pense forcément aux « Paysans » de Raymond Depardon.
La Compagnie Arbre nous livre là un théâtre contemporain du monde rural qui aborde des questions sociologiques du choix de nos vies. Entre renoncements et regains d’optimisme, la voie est parfois destructrice. C’est une belle réussite que ce passage du film au théâtre, il nous reste de la matière à réflexion sur notre propre existence et celle de notre ascendance / descendance.
Annick et Emmanuel Bienassis