AVIGNON OFF : « AGAMEMNON » OF COURSE

LEBRUITDUOFF.COM – 27 juillet 2017

« Agamemnon » de Rodrigo Garcia – mise en scène de Nicolas Candoni – Théâtre Le Nouveau Ring – du 7 au 30 juillet à 20h50

Avec Rodrigo Garcia, on n’est jamais déçu… le pire est toujours à venir. On ne parle pas ici de risquer d’être déçu par son talent iconoclaste à souhait – pour peu qu’on ne soit pas dérouté par son addiction marquée à un univers trash – mais par la progression exponentielle des déboires existentiels auxquels il confronte ses personnages rebelles pour mieux traduire la violence de nos sociétés policées (sic). Dans « Agamemnon », le roi des rois est un père de famille qui revient – of course – de faire ses courses du mois au supermarché. Et comme il a décidé de s’en charger seul pour épargner cette corvée à sa petite famille, sous l’œil ahuri des caissières il a attelé ce jour-là trois chariots ensemble, les a gavés jusqu’à plus soif de produits divers et variés glanés dans les rayons surabondants traversés afin de ne pas revenir les mains vides, la classe !

Seulement quand il arrive chez lui, affalé sur son canapé, il a comme le sentiment d’avoir commis une série de bévues, ce qui le rend un peu nerveux. En effet à quoi rime ces packs de lait entier alors que tout le monde dans la famille prend de l’écrémé, ce PQ parfumé alors que personne n’en supporte l’odeur, la centaine de bouteilles d’eau minérale alors que l’eau du robinet est parfaite, ces kilos de côtelettes alors qu’on n’a pas de barbecue pour les griller, etc. etc. En revanche, il a oublié tout ce dont il avait besoin. L’absurde est là, massif.
Forcément, ça rend un peu nerveux de s’apercevoir qu’on s’est laissé – une fois de plus – avoir au piège de la consommation en achetant un tas de saloperies dont on n’a pas la moindre utilité, comme ces piles qui ne sont pas du modèle de celles du jouet en panne, et qui le restera. Alors pour libérer la tension qu’il sent monter en lui, il a recours tout naturellement à la méthode forte : dérouiller son fils pour exorciser sa propre colère envers lui. Seulement, si le procédé est efficace, la raclée a été un peu trop appuyée. Le gamin saigne dru. On va éviter l’hôpital, un lieu où on vous fait déballer votre vie privée. Il fait enfiler au fiston le pull jaune moutarde acheté dans sa liste improvisée, beaucoup trop grand et à gerber mais il faut bien qu’il s’y habitue. Pour faciliter l’adéquation de la taille démesurée du pull à la stature maigrelette du gamin, il l’attache à une chaise et, selon la procédure utilisée pour les oies, il le gave de tout ce qu’il a acheté au supermarché, comme ça pas de pertes. Toute la violence du monde, le nôtre.

Défoulé, il décide alors de les emmener dîner, sa femme et son fils, au restaurant. Après la série de coups de pieds pour dégager son fils des sièges qu’il tachait avec son sang, arrêt moteur, la société est débranchée… Pause, quelque part en pleine campagne… Pendant que l’autoradio branché sur radio classique diffuse des musiques de Bach, s’entend le son des grillons, se contemplent les vignes argentées dans les couleurs du couchant. Déguisé en héros troyen, le père rêve d’envoyer des cartes postales de toutes les villes italiennes, une odyssée onirique portant la griffe de héros troyens. Parenthèse enchantée dans un monde désenchanté.

Quand le cours « normal » de leur odyssée reprendra, ils atterriront dans un chicken grill où deux « poulets-sandwichs », mascottes de taille humaine parlant et chantant, assurent l’animation. Consommant les ailes de poulets frits, dans ce lieu voué à la consommation rapide et où le bonheur apparaît sous les traits d’une ration supplémentaire de ketchup, tout en buvant à la paille du coca sacré, la prise de conscience se poursuit. Echappant au dogme de la surconsommation, il pense au tragique d’une existence où il a toujours fait ce qu’on lui a dit de faire. Son fils est l’élément qui introduit le concept d’espoir, avant que son corps repu ne s’effondre.
Fable caustique de notre société tout entière mue par l’obsession de la consommation – remplir autant son emploi du temps que son ventre d’ingrédients inutiles – et marquée par l’absence d’aires de rêves, l’itinéraire emprunté conduit, au travers de situations d’un trash assumé avec jubilation, à une critique mordante de la déraison pure de notre monde. Critique acerbe débouchant sur un appel subliminal à la révolte.

La Compagnie Minuit 44 à qui on doit la mise en jeu présente du texte de Rodrigo Garcia n’a commis aucune erreur d’interprétation. Elle a avec finesse et maîtrise très pertinemment perçu l’esprit de l’auteur du texte et a su le traduire avec ce qu’il faut de gore sans pour autant sombrer dans le grandguignolesque, conservant ainsi intact le tragique de la situation de l‘homme contemporain.

Yves Kafka

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