« MA VIE DE DIRECTEUR (DE THEÂTRE) » : JOUR 2, « ON PEUT PAS TOUT FAIRE DANS LA VIE ! »
« Ma vie de Directeur (de Théâtre) », notre nouvelle chronique vue du « dedans », rédigée par un(e) authentique directeur-trice du OFF d’Avignon… En tout anonymat, forcément. Instructif et souvent drôle, le OFF vu de l’autre côté du miroir !
Jour 2 (11 juillet)
« Le public de théâtre est un public raffiné, cultivé et délicat. Durant le festival il se transforme en consommateur. Comme une vague impression d’être un bidon de lessive. Les spectacles se choisissent en fonction de l’horaire, la durée, la proximité du théâtre où se joue le spectacle suivant/précédent… L’acte artistique? Ah ben oui… heu… oui… ils s’y intéressent toute l’année alors bon… là… ils sont venus pour voir un maximum de spectacles… on peut pas tout faire dans la vie ! »
Monsieur le Directeur,
Le public de théâtre est habituellement selon vous un « public raffiné, cultivé et délicat »… , sans doute dans votre théâtre et, toujours selon vous, il ne le serait pas à Avignon, où vous avez l’impression d’être un « bidon de lessive. »
Eh bien, restez dans votre théâtre à mettre en scène des spectacles pour gens raffinés et ne venez pas. Avignon, c’est une chance pour ceux qui aiment le théâtre. Une chance unique.
Je travaille toute l’année comme une folle. Pas le temps d’aller au théâtre, pas le temps de réserver: les spectacles en province (on dit désormais « en région », mais le fossé entre ceux qui se croient le centre du monde artistique en France – vous en faites visiblement partie – et les autres demeure si le terme a changé. Le mépris va de pair) ne se jouent qu’une fois ou deux et il est difficile d’obtenir des places si on ne les réserve pas en juin pour le mois de février suivant. Je fais comment, moi qui ne connais pas mon emploi du temps une semaine à l’avance ?
Voilà comment je procède : je prends une semaine en juillet et je viens à Avignon. Je cours de théâtre en théâtre, j’écoute dans la rue les artistes qui me parlent de leur spectacle comme d’un enfant espéré et chéri, je vais à leur rencontre. Je ne consomme pas, je me régénère. Je reprends goût à la vie, je redécouvre la joie, je fais ma moisson de mots, d’images et de sensations. Je ne consomme pas, je viens apprendre, écouter, découvrir.
Je ne consomme pas, je viens retrouver le sens de la parole et de l’écoute.
Le festival, c’est comme parcourir un continent inconnu. Qui sait si le spectacle que j’ai choisi après qu’un inconnu m’en a parlé sera à la hauteur de mes espérances ? Qu’importe, il est là, vivant qui se crée devant moi, pour moi, car l’acteur se donne à son spectateur sans qui il ne serait rien.
La perfection me ravit et l’amateurisme me déçoit, mais je suis reconnaissante à l’acteur du travail qu’il a fourni et de son énergie et de sa présence au monde.
Je vous plaindrais presque d’avoir une conception aussi étriquée de l’art que vous prétendez servir et d’ignorer à ce point le sens de la fête. Mais vous êtes sans doute de ceux qui sont convaincus de détenir la vérité et que rien ne bouscule dans leurs certitudes.
Gardez pour vous vos spectateurs raffinés : je garde pour moi un bonheur qui vous est étranger.