« L’HERBE DE L’OUBLI », TCHERNOBYL MEMOIRES VIVES
LEBRUITDUOFF.COM – 19 juillet 2018.
AVIGNON OFF 2018. « L’herbe de l’oubli » – Mise en scène : Jean-Michel d’Hoop – Au théâtre des Doms du 6 au 26 juillet à 17h00 – relâche les 11, 18 juillet
Le 26 avril 1986 un cœur est entré en fusion. Ce n’était pas celui de l’Amour mais plus exactement celui du réacteur n° 4 de la centrale de Tchernobyl, laissant retomber derrière lui des millions de tonnes de poussières radioactives sur un immense territoire habité. Cet accident technologique majeur allait laisser pour des siècles et des siècles des plaies ouvertes dans les corps et les âmes des populations locales.
A partir de témoignages recueillis directement dans la région de Tchernobyl ou à l’aide de ceux écrits par Svetlana Alexievitch (La Supplication, Editions JC. Lattès), la compagnie « Point Zéro », en coproduction avec le Théâtre de Poche de Bruxelles, donne corps et voix à ces paroles oubliées.
La compagnie Point Zéro expose tour à tour des paroles aussi différentes que celles de populations ayant tout perdu ou de scientifiques à la solde du gouvernement russe et niant l’évidence de la catastrophe. Certaines paroles témoignent de l’impossibilité de vivre à Tchernobyl, d’autres, au contraire, dans un déni de l’évidence sanitaire, tentent de démontrer que l’on peut tout à fait vivre normalement sur ces terres tout en éludant la question des forts taux de maladies de sang et autres cancers dus à la présence de césium 137 et autre strontium, chaque comédien interprétant des habitants ou des experts.
Mais la magie de ce spectacle réside dans la juxtaposition de cette parole et d’une vision poétique et noire qu’apporte un fabuleux travail sur la création et l‘utilisation de marionnettes en papier mâché. Là où l’œil vide et inexpressif d’une marionnette peut être un frein dans un théâtre à message, il prend ici tous son sens. Les marionnettes semblent une humanité vide d’espoir, entre deux mondes, celui de la vie et celui de la mort, comme errant dans ce no man’s land que personne ne veut voir ni entendre.
Que ce soit un enfant ou un vieillard ils sont là, dans un état ou le passé et le futur semblent se mélanger dans un abîme que nous ne voulons plus voir. Ces personnages de papier errent sur le plateau comme des fantômes ou se retournent tel un chœur silencieux derrière les comédiens. L’effet est saisissant et glaçant. Ajoutant encore au
trouble, la metteuse en scène projette par intermittence des images réelles de ces populations qui, après la catastrophe, déambulent tels des morts-vivants dans ce qu’il reste de leur village ou ville. Depuis la nature a repris ses droits malgré les tonnes de déchets nocifs produits par l’homme qui subsistent. Tout ressemble ici à une nature propre à accueillir et nourrir ses populations mais, écorchant toutes nos certitudes, cette nature est devenue comme intrinsèquement hostile à l’homme. Dès lors l’invisible tue, même les animaux ne sont plus les amis des hommes, comme ce cheval qui, errant dans les terres souillées, doit être abattu, brûlé et surement plus tard enfoui sous terre.
Un très beau travail poétique sur la mémoire et le futur d’une population oubliée de tous. Un spectacle poignant à ne surtout pas manquer.
Pierre Salles