« L’ÎLE DE TULIPATAN », UNE PEPITE EPATANTE

LEBRUITDUOFF.COM – 23 juillet 2018.

AVIGNON OFF : « L’île de Tulipatan » par la troupe de Monsieur Choufleuri- Dreamdust production- Théâtre des Corps Saints à 16h05 du 6 au 29 juillet (relâche le 24).

« L’île de Tulipatan » est une des nombreuses perles que compte le foisonnant répertoire des opérettes de poche en un acte composées par Jacques Offenbach. Créée en1868, on y retrouve les deux ingrédients favoris du génie de la vie parisienne : jeu burlesque et virtuosité lyrique, deux défis que les comédiens-chanteurs doivent relever simultanément.

Si la troupe de Monsieur de ChouFleuri réussit pleinement le premier, elle montre quelques faiblesses pour le second.

Pour le burlesque, l’argument du livret écrit par Henri Chivot and Alfred Duru, rend possible toutes les extravagances. En quelques mots, on a là un roitelet d’opérette (c’est bien le cas de le dire) fat et content de lui même, régnottant sur son île, et qui veut marier son fils dont il ignore qu’il est en réalité une fille, avec la propre fille de son chambellan servile et intéressé qui ne sait pas non plus qu’il est en fait père d’un garçon. Au passage, on notera que les pères sont incapables de deviner les secrets de famille que seules connaissent et cachent leurs épouses soumises au régime patriarcal. Avec nos yeux d’aujourd’hui, on pourrait y voir une fable traitant avant l’heure de la transsexualité. Mais cette vision est un peu biaisée parce qu’ancrée dans son époque, l’histoire se conforme d’une part à l’ordre naturel des sexes (l’inné triomphe de l’acquis) et utilise d’autre part la bonne vieille recette comique et irrésistible du travestissement. Cela dit, on est gaiement troublé par la romance de la soprano déclarant sa flamme à la fille qu' »elle » aime et celle du ténor au garçon qu' »il » aime.

La seule concession à la modernité de cette fable loufoque pourrait être celle de l’accès d’une fille au trône royal à la place d’un garçon rompant avec l’immémoriale tradition salique bien française. Serait-ce un clin d’œil « politique » en cette année 1868 où les rumeurs allaient bon train sur l’état de santé chancelante de l’empereur Napoléon III et sur sa succession par son fils unique ? Il est d’ailleurs drôle d’apprendre que ce prince héritier, passant pour un peu trop lisse et qui n’accéda jamais au trône pour cause de république, connut un destin tragi-comique digne d’une opérette, puisqu’il fut assassiné quelques années plus tard par des zoulous lors d’une expédition en Afrique.

Toute cette confusion bouffonne et hilarante est très bien menée par cinq comédiens épatants avec une mention spéciale pour le très rebondissant Alexis Mériaux dans le rôle d’Hermosa qui avec beaucoup d’expressivité comique, joue jusqu’au bout l’ambiguïté sexuelle, garçon manqué quand il est fille, efféminé quand il est garçon. On rit franchement tout le long avec des scènes d’anthologie comme celle du décompte des filles et des garçons que la troupe rend jubilatoire dans un rythme effréné de dialogues absurdes.

Dommage alors que pour la partie lyrique, on soit moins convaincu, le talent de chanteur n’étant pas la hauteur de celui de comédien. Même si l’accompagnement instrumental réduit au piano, au violoncelle et à la grosse caisse est assuré sans faute notable, on tiquera, ici sur une voix qui se détimbre, là sur un aiguë un peu acide et fragile, ou bien encore plus loin un vibrato trop appuyé. Certes les rôles graves (le roi et la mère) s’en sortent plutôt bien mais il est vrai que les partitions solistes toujours redoutables chez Offenbach demandent une maîtrise vocale de haut niveau attendue avec autant d’exigence par les amateurs férus d’opérettes que ceux d’opéra. Une gageure donc surtout lorsqu’il s’agit d’être en forme vocale tous les jours en pleine canicule de l’après-midi particulièrement sévère autour des Corps Saints.

En revanche, les cinq chanteurs se rattrapent très bien dans les ensembles, quatuor ou quintet, qui toujours chez  » le petit Mozart des Champs-Élysées » sont admirablement et très finement écrits.

Forte théâtralement, plus moyenne musicalement, cette épatante interprétation de « l’île de Tulipatan » réussit à enchanter son public, confortablement installée dans cette bulle de franche gaîté et on peut l’en féliciter.

Jérôme Gracchus

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